Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opposa de longue résistance aux soins de Montausier, ou qui ne connaîtraient pas la reproche que Saint-Évremond adressait aux précieuses : « d’avoir ôté à l’amour a qu’il a de plus naturel à force de vouloir l’épurer. »

Lorsque Fléchier débarqua de sa province, en 1659, la société de l’hôtel de Rambouillet n’était plus, depuis dix ou douze ans déjà, qu’une ombre d’elle-même. Le mariage de Mlle de Rambouillet, d’abord, en 1645; les troubles de la fronde ensuite; l’éloignement ou la mort de quelques habitués, dont Balzac et Voiture; les infirmités enfin et la vieillesse de la marquise avaient dépeuplé ces « cabinets » fameux, où toute une génération de grands seigneurs et de beaux esprits avait jadis « révéré la vertu sous le nom de l’incomparable Arthénice. » Mlle de Scudéry, cette illustre fille, comme on l’appelait au XVIIe siècle, avait hérité ce qui survivait encore des familiers du célèbre hôtel. Elle était alors dans tout l’éclat de sa réputation, et ses interminables romans dans le fort de leur vogue. Une tradition veut que son libraire, Augustin Courbé, n’ait pas tiré du Cyrus et de la Clélie moins de 100,000 écus; une autre tradition qu’ils aient eu cet honneur, insigne pour le temps, d’être traduits non-seulement en anglais ou en italien, mais encore jusqu’en arabe. S’il est donc permis de croire, puisque l’on paraît y tenir, que Molière, en donnant cette année-là même ses Précieuses ridicules, n’a pas voulu viser l’hôtel Rambouillet, il est plus difficile d’admettre, avec Victor Cousin, qu’il n’ait pas songé davantage à Mlle de Scudéry. Le nom de Cathos a tout l’air d’avoir quelque signification, et celui de Madelon en a certainement une, et elle est directe, et Madeleine de Scudéry s’y fût difficilement méprise. La vérité, c’est que les Précieuses ridicules atteignirent toutes les précieuses, de Paris ou de la province, les illustres comme les ridicules, à fond et indistinctement. Ceux qui, sans aller jusqu’à prétendre que, dans le modeste salon de Mlle de Scudéry « le naturel et la simplicité étaient absolument de rigueur, » veulent toutefois distinguer la féconde romancière d’avec on ne sait quelles fausses précieuses, ne font pas assez d’attention, ici, que si décidément ils avaient raison, il faudrait donc que Molière, et Boileau depuis Molière, eussent eu tort dans la lutte qu’ils soutinrent. Car enfin peut on raisonnablement enseigner que l’auteur des Satires ait écrit pour ramener le bon goût dans Clermont-Ferrand? ou Molière, pour corriger à Montpellier les usages de la conversation ? Mais ce que l’on peut dire, c’est que ni les coups de Molière, ni les coups de Boileau ne furent mortels à ceux qu’ils touchèrent, ni surtout n’opérèrent dans l’opinion publique la soudaine révolution que l’on prétend. Fléchier, tout seul, au besoin, nous en apporterait la preuve. Ce n’est guère qu’au lendemain du succès des Précieuses ridicules qu’il prend pied à Paris; il vient de rompre, sans scandale, avec la