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le scepticisme du pays désabusé d’une si étrange politique ; mais ce qu’il y a de plus terrible, ce qui est bien fait pour achever de déconcerter l’opinion, c’est, que tout cela n’est pas compensé par une certaine hardiesse d’idées, par une certaine vigueur dans le maniement des affaires publiques. Malheureusement jusqu’ici, au contraire, tout est assez décousu, passablement médiocre, et les entreprises prétendues réformatrices finissent par des propositions confuses ou par des expédions vulgaires qui ne peuvent certes point passer pour les œuvres d’une sérieuse et forte politique.

On parle toujours de réformes, c’est le mot d’ordre invariable des ministères et de la chambre. Il n’y a qu’un malheur, c’est qu’on touche atout, on met en suspicion les institutions et les lois, on soulève les questions les plus graves, les plus délicates, et en définitive on ne réforme rien. Que le parlement, aidé par le gouvernement et au besoin même par le conseil d’état, se fût proposé de modifier certaines parties de la législation française, de notre organisation judiciaire, administrative ou militaire, qu’il eût étudié ces problèmes toujours difficiles avec maturité, et qu’il eût présenté ensuite au pays des projets sagement conçus, rien n’eût été plus légitime et plus naturel sans doute. C’était une œuvre digne d’être entreprise, qui dans tous les cas ne pouvait être accomplie qu’avec beaucoup de temps et de réflexion, qui devait avant tout s’inspirer des intérêts permanens de la France. La première condition eût été de partir de cette idée que tout ce qui existe aujourd’hui dans notre pays date à peu près de la révolution française et qu’il s’agit après tout de réformer, d’améliorer, non de détruire capricieusement.

Ce n’est pas là précisément, il faut l’avouer, le procédé de travail parlementaire en honneur pour le moment. On veut réformer l’enseignement, et l’unique obsession des réformateurs est de bannir les influences religieuses des écoles : c’est une victoire de secte dénaturant ou compromettant un progrès désirable, destinée dans tous les cas à provoquer des résistances qui commencent à se manifester, qui peuvent aller en grandissant. On veut réformer l’organisation judiciaire, on tourne depuis longtemps autour du problème, et au fond la seule préoccupation fixe est d’en venir à supprimer l’inamovibilité de la magistrature. Sur tout le reste on se montrerait facile, on se prêterait à des transactions. La suppression de l’inamovibilité, c’est là l’essentiel, et à la rigueur la commission qui prépare un projet s’en tiendrait, si on le voulait, à ce point unique. On ne voit pas que c’est tout ce qu’il y a de plus puéril ou de plus redoutable. Si ce n’est qu’une suspension imaginée pour arriver à déposséder ce qui reste d’anciens magistrats, ce n’est qu’un indigne expédient. Si la suppression est décrétée en principe, on oublie que c’est justement dans un état démocratique, livré aux oscillations passionnées de l’opinion, que l’indépen-