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emphatiques de Backhuysen ou de Vernet. Ruysdael ne tombe point dans ces déclamations ; jamais il n’est extrême ; il s’arrête à temps. Il sait bien que ces sortes d’accidens ne sont point rares dans la vie des marins de ces cotes, et loin de perdre son sang-froid, il montre à peine son émotion. Il reste grave, sérieux ; il conserve en tout cette mesure, ce goût, cette horreur des banalités sentimentales qui est dans le caractère de son génie, et c’est par là qu’il a mérité d’être en même temps un si fidèle interprète de la nature hollandaise et l’un des plus nobles représentans du tempérament de sa race.


IV

Les maîtres de l’école française et de l’école espagnole, assez peu nombreux à Berlin, n’y font pas grande figure. Poussin, parmi les premiers, est un des mieux partagés. Son Jupiter nourri par la chèvre Amalthée nous montre ce mélange d’élévation et de naïveté familière qu’il apportait dans l’interprétation de la mythologie. La nymphe assise à terre qui fait boire le jeune dieu et sa compagne qui pose délicatement sur un disque de bois le rayon de miel pris à une ruche voisine forment avec le satyre occupé à traire la chèvre un groupe charmant qui semble emprunté à un bas-relief antique. En y joignant une composition pleine de style, Saint Mathieu et l’Ange, qui provient de la galerie Sciarra, on aurait des spécimens excellent de son double talent de peintre d’histoire et de paysagiste. Quant au Saint Bruno en prière de Lesueur, ce n’est probablement qu’une copie ancienne de notre tableau du Louvre. Plus loin, un grand Portrait de famille par Lebrun, peinture correcte mais froide, n’a d’autre intérêt que de nous offrir les traits de Jabach, le célèbre financier auquel nos collections doivent une grande partie de leurs chefs-d’œuvre. La Marie de Mancini est, au contraire, un des meilleurs portraits de Mignard. Il est vrai que le modèle prêtait, et vu ainsi presque de face, avec son teint éclatant et ses grands yeux vifs, ce visage, couronné par une forêt de cheveux noirs et bouclés, est d’une beauté vraiment royale, bien faite pour séduire Louis XIV. Deux jolis Watteau, une petite toile de Troy et une Bergerie de Lancret, malgré leur mérite, paraissent d’une importance fort secondaire en comparaison des œuvres nombreuses de ces artistes qui se trouvent encore aujourd’hui dans les châteaux de Potsdam. Nous aurons terminé cette rapide revue de nos peintres en signalant au passage une spirituelle esquisse de Boucher et une de ces jolies têtes de pécheresses dont Greuze a plus d’une fois reproduit les visages roses et les airs langoureux. Le repentir de celle-ci nous semble suspect ; elle paraît un peu trop savoir que cette pose