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des traces de son passage dans le nord de l’Afrique, autrefois le grenier de Rome et aujourd’hui en proie aux sécheresses et aux sauterelles. L’Algérie elle-même ne recouvrera son ancienne splendeur que par le reboisement du tiers au moins de sa surface. Les steppes de la Tartarie sont sillonnées de rivières qui, aujourd’hui à sec, fertilisaient autrefois la contrée ; celles de la Crimée étaient, au temps de Mithridate, fertiles et peuplées, comme l’attestent les nombreux vestiges de villages, d’aqueducs, de tombeaux et de souches d’arbres qu’on retrouve dans le sol.

Sauf dans l’Inde, où existe un rudiment d’administration forestière, les forêts ne sont, dans les colonies anglaises, l’objet d’aucune protection ; elles ont disparu des Barbades, de la Jamaïque, de Maurice, et avec elles les pluies qui arrosaient et fertilisaient ces îles[1]. L’Afrique australe a particulièrement souffert de cette incurie. Les forêts y étaient autrefois nombreuses, et aujourd’hui encore, dans la partie orientale et dans certaines régions montagneuses, on en trouve d’étendues couronnant les montagnes et envahissant les plaines ; les arbres qui les composent appartiennent presque tous aux genres olivier et acacia et atteignent parfois de fortes dimensions. On y rencontre aussi des sumacs, des podo-carpus, des cèdres du Cap, qui sont des arbres de grande valeur, et diverses autres essences. Parfois aussi, dans les plaines ou sur les bords d’anciens lacs, se montrent des bouquets de baobabs gigantesques qui doivent remonter à plusieurs milliers d’années et dont la présence, nécessairement postérieure au dessèchement du terrain qu’ils occupent, peut faire juger des progrès de la sécheresse. Cette partie de la colonie est la plus humide et la plus fertile, mais en se dirigeant vers l’ouest, vers le pays des Cafres, on voit le sol se dénuder de plus en plus et les pluies devenir de plus en plus rares.

La destruction des forêts du sud de l’Afrique est antérieure à la présence des Européens, mais elle s’est continuée depuis lors ; elle est due surtout à l’habitude que les indigènes ont d’incendier les herbes et les broussailles et qui a fait donner par les premiers

  1. Au commencement du XVIe siècle, Sainte-Hélène était couverte de forêts de gommiers, d’ébéniers et de bois rouge, les premiers croissant près du rivage, les autres sur les collines de l’intérieur. Elle avait alors de l’eau et était arrosée par des pluies fréquentes. Depuis, les colons ayant abattu les arbres que des troupeaux de chèvres empêchaient de repousser, l’île se dénuda et fut exposée à de fréquentes sécheresses. Le mal était devenu tel qu’à la fin du siècle dernier, on dut y porter remède ; on créa des pépinières d’arbres exotiques et cent trente-trois espèces nouvelles furent introduites. On fit des plantations sur une grande échelle, et depuis lors les sécheresses ont disparu au point qu’il y pleut autant qu’en Angleterre.