Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
REVUE DES DEUX MONDES.

demandant l’adoucissement de sa peine à la poésie et à la musique. Après Théocrite, on le retrouve encore chez Bion. Il est à remarquer que la laideur et le caractère sauvage de Polyphême n’étaient pas atténués dans le dithyrambe comme ils le furent dans l’idylle pastorale. C’est cette première conception, où le contraste était plus marqué, que paraissent avoir adoptée la plupart des nombreux artistes qui furent tentés par un sujet si riche pour la peinture décorative. Dans une description de Philostrate, et, ce qui est plus décisif, dans un certain nombre de peintures d’Herculanum et de Pompéi, on voit, d’un côté, au premier plan, assis sur son rocher, le Cyclope, gigantesque et affreux, couvert de la dépouille des bêtes sauvages, avec une houlette ou une lyre grossière, et, de l’autre, apparaît dans la mer, comme une brillante vision, la nymphe qui passe indifférente et superbe sur un dauphin. Un voile éclatant se gonfle avec grâce au-dessus de sa tête ou bien un Amour la protège avec une ombrelle. Quelquefois des Tritons avec leurs conques et d’autres habitans fantastiques de la mer viennent enrichir cette partie de la composition. Dans une peinture, c’est un Amour qui apparaît à Polyphême sur un dauphin lui montrant des tablettes écrites : c’est sans doute la réponse de Galatée au message que lui adressait le Cyclope de Philoxène. Ainsi l’œuvre des poètes se continuait dans les légères fantaisies des artistes, et la légende primitive qui rapprochait par des amours mythologiques les âpres rochers et la douce mer de la Sicile venait se résoudre en une foule d’idées gracieuses, pour fournir à la libre et radieuse élégance des habitations campaniennes.


II.

Daphnis est le héros de la vie et de la poésie pastorale. C’est surtout à lui que l’on attribuait l’invention du chant bucolique. Le nom d’un autre inventeur sicilien (le bouvier Diomos), bien que mentionné par Épicharme, n’a point laissé de trace ; et il n’y a pas de légende de Diomos. La légende de Daphnis, au contraire, née et conservée d’abord dans les montagnes de la Sicile, s’y était développée comme le principal sujet des chants pastoraux. Théocrite devait donc lui réserver une place d’honneur dans ses compositions. C’est ce qu’il a fait, en montrant plus encore que pour la légende de Polyphême cet art de choisir, ce tact poétique dans lequel réside une bonne part de sa force et de son originalité.

Le sujet, en effet, soit par l’extension naturelle de l’idée primitive, soit par les additions de l’imagination populaire, avait pris de bonne heure un développement assez complexe dont les traits prin-