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solitude s’est faite d’année en année plus solitaire. Les historiens de l’Odéon, énumérant les causes de l’insuccès de la Comédie-Française dans cette salle, en 1835, alors que la Comédie comptait parmi ses sociétaires ou ses pensionnaires Mlle Mars et Firmin, Monrose, Menjaud, Samson, Joanny, Ligier, Beauvallet, Geffroy, Régnier, Mmes Paradol, Mante, Brohanet Plessy, — énumérant, dis-je, les causes de ce surprenant insuccès, les historiens de l’Odéon mettent au premier rang : « la multiplicité des théâtres depuis 1830, la dispersion du public et le déplacement du mouvement littéraire… » En 1835… ! Eh bien ! et depuis… ?

Depuis, je ne sache pas que le nombre des théâtres ait décru, ni que le public se soit rassemblé vers l’Odéon, ni que le « mouvement littéraire » se soit reporté vers ce quartier ; aussi bien ni littéraire ni aucun autre : interrogez là-dessus les propriétaires de la plaine Monceaux, et ceux de ces terrains de Chaillot où l’on semait du chanvre, en effet, alors que Gautier trompettait l’avènement de Bocage. Le panorama de la rue de Berry, où MM. Détaille et de Neuville exposent leur bataille de Champigny, sera bientôt plus central que le second Théâtre-Français. Tel chansonnier devenu ministre, et même ancien ministre, ne reconnaît plus aujourd’hui « son vieux quartier Latin. » Même les héros de Mürger ont émigré. Acclimatée si longtemps à l’Odéon, la Vie de bohème a repassé l’eau ; dépaysée au Vaudeville, elle s’essaie maintenant à l’Ambigu. Tout de ses personnages y parait démodé : leur gaîté, leurs sentimens et l’innocence de leur misère. Le 1er janvier 1838, dans cette Revue, George Sand terminait la Dernière Aldini par ce cri : « Vive la bohème ! » Le 15 juillet 1871, à cette même place, M. Caro, en psychologue avisé des choses présentes, donnait pour titre à un article : la Fin de la bohème… Quelle mélancolique étude M. de La Rounat pourrait nous offrir sur la fin de la jeunesse des écoles, en tant « qu’odéonienne ! » S’il reste le soir des étudians sur la rive gauche, ils ne se croient pas engagés d’honneur à soutenir la fortune de l’Odéon. Veulent-ils aller au spectacle ? Plutôt que de payer 6 francs un fauteuil dans ce temple, ils préfèrent se rendre au théâtre Cluny, si misérablement dirigé qu’il soit : et quand par hasard, entre deux vaudevilles de banlieue, ils tombent sur une pièce amusante comme celle de M. Bisson, 115, rue Pigalle, ils rient toute la soirée sans remords et sans donner une pensée à l’Odéon expirant.

Sous le second empire, M. Camille Doucet, surintendant des théâtres, avait conçu le projet d’élever un Second-Théâtre-Français à côté du premier : les deux, pour mieux dire, n’en eussent formé qu’un seul, avec deux troupes distinctes dont l’une eût joué dans la « salle Molière » et l’autre dans la « salle Corneille. » Il y a quelques années, alors que le Théâtre-Italien était à vendre, M. Perrin faillit Tacheter pour que la Comédie-Française s’en fît une succursale. Bientôt sans doute, à la suite d’un accommodement, cette succursale fût devenue, de nom