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XX. — LES ILLUMINÉS.

« Au temps que les bestes parloyent (il n’y ha pas trois jours), » dit Panurge, les tables entrèrent en danse. Les guéridons bavardaient, les chapeaux passaient la capriole, comme eût dit La Bruyère, les paniers eux-mêmes ne pouvaient garder le silence : j’en ai connu un dans lequel l’âme de Molière s’était réfugiée ; il écrivait des comédies que nul directeur de théâtre ne voulut recevoir et se plaignait du mauvais goût de notre époque. Chacun se souvient de cette folie qui faisait tourner les tables et les têtes. Possession des nonnains au XVIIe siècle, convulsionnaires de Saint-Médard au XVIIIe, esprits frappeurs au XIXe : c’est à croire que la démence est la prérogative de l’homme. Tout le monde s’éprit de cette nouveauté, si nouvelle que Tertullien l’a condamnée en son temps, et l’on se mit en communication avec les morts. Il y eut des adeptes qui accusaient de matérialisme les personnes auxquelles il semblait singulier que les esprits ne pussent se manifester que dans des meubles. Je fus fort malmené quelquefois, mais la croyance ne me vint pas et je suis resté sceptique. Une secte nouvelle, celle des spirites, est issue de ces calembredaines ; elle a ses fidèles, elle a ses photographes qui font le portrait des ombres et sont recueillis par la police correctionnelle[1] ; elle a son prophète, mort pour les petites gens comme vous et moi, mais, en réalité, vivant dans les espaces intermédiaires, et servant de truchement entre les initiés et la divinité. Beaucoup de lyrisme, peu de raisonnement, le besoin du merveilleux et une forte dose de crédulité suffisent pour avoir la foi. Quelques esprits d’élite furent troublés, Louis de Cormenin entre autres, qui, n’ayant jamais trompé, ne s’imaginait pas qu’on fût trompeur, et qui, momentanément, se laissa duper par une commère de province, à laquelle le Dictionnaire de la conversation avait révélé quelques mystères historiques dont elle avait pris sa table pour confidente. Théophile Gautier, qui avait de la tendance au surnaturel, n’était pas très rassuré, surtout après avoir lu le livre du marquis de Miriville[2]. Flaubert levait les épaules et disait : « Malgré les peintures des vases grecs, on peut affirmer que le trépied de la Pythie à Delphes n’était autre qu’une table virante. » Un homme de science et de recherche, le chimiste Teyssier du Mottay, fut séduit ; il conférait avec l’âme des grands hommes, les interrogeait, admirait leurs réponses et y

  1. Voir dans la Gazette des tribunaux du 17 et 18 juin 1875, le procès d’un fabricant de photographies spirites ; c’est un document très curieux.
  2. Pneumatologie : des Esprits et de leurs Manifestations fluidiques, par le marquis udes de Miriville, 1 vol. in-8o ; Paris, 1853.