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présentement comme un ensemble ayant ses causes en lui-même, causes que nous nommons des lois. L’immanence, c’est la science expliquant l’univers par des causes qui sont en lui… L’immanence est directement infinie ; car, laissant les types et les figures, elle nous met sans intermédiaire en rapport avec les éternels moteurs d’un univers illimité, et découvre à la pensée stupéfaite et ravie les mondes portés sur l’abîme de l’espace et la vie portée sur l’abîme du temps[1]. » Il paraît bien qu’il y a là une doctrine fort explicite. On oppose à l’idée de la transcendance celle de l’immanence qui explique l’univers par des causes qu’il porte en lui-même, qui soutient qu’il a en lui son principe et sa raison d’être, sa nécessité et son éternité. C’est là une affirmation qui dépasse singulièrement et la sphère des faits vérifiables et des lois démontrées. »

S’il s’agit non plus de l’origine du monde, mais de la nature de l’âme, M. Littré ne garde pas davantage, en pratique, la neutralité qu’il recommande si vivement dans ses programmes. L’âme, pour un positiviste conséquent, devrait être un x pur, une inconnue, la cause inconnaissable des phénomènes de pensée, de sentiment et de volonté, soit que cette cause se résolve dans l’organisme, soit qu’elle constitue un principe distinct et supérieur. Il n’est guère douteux cependant que M. Littré prenne parti contre l’âme en tant qu’âme et qu’il la réduise à n’être qu’une fonction du système nerveux. Il accorde volontiers son patronage, l’honneur public de son nom et d’une préface à des livres tels que celui de M. Leblais, Matérialisme et Spiritualisme, où l’une des deux doctrines est fort maltraitée au profit de l’autre ; ce qui montre bien que la neutralité diplomatique des positivistes cache un traité secret d’alliance avec les adversaires du spiritualisme, qui est l’ennemi commun, et qu’il y aurait quelque naïveté à s’imaginer que, dans la grande mêlée des doctrines leurs préférences ou leurs vœux soient équivoques. — Dans la préface qu’il a mise au-devant du livre de M. Leblais, M. Littré soutient que la pensée est à la substance nerveuse ce que la pesanteur est à la matière, c’est-à-dire un phénomène irréductible, qui, dans l’état actuel de nos connaissances, est à soi-même sa propre explication. « De même que le physicien reconnaît que la matière pèse, le physiologiste constate que la substance nerveuse pense, sans que ni l’un ni l’autre aient la prétention d’expliquer pourquoi l’une pèse et pourquoi l’autre pense. » De pareilles propositions, assurément, ne seraient désavouées ni par M. Moleschott, ni par M. Carl Vogt. Toutes les fois qu’il s’agit de l’âme, visiblement M. Littré incline vers les doctrines du physico-chimisme. Il combat quelque part une proposition fort innocente de

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