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maintenir l’impartialité gouvernementale à l’abri de tout reproche, M. Dufaure ne pensait pas que le citoyen dût cacher ses préférences personnelles. Interpellé par une lettre de M. Odier, rendue publique, il déclara qu’il était très décidé à user, quoique ministre, du droit qu’a tout citoyen d’exprimer librement son opinion. Il se portait garant du général ; il n’était pas nouveau dans l’étude des hommes appliqués au maniement des affaires publiques. Il avait pu voir de près depuis quatorze ans tous les hommes d’état de ce temps. Il n’en avait pas connu qui eût la parole plus sincère, le cœur plus droit et plus désintéressé, l’esprit plus juste et plus net. Il le tenait pour le vrai républicain de nos jours, républicain sage, ferme et convaincu ; redoutant trop le despotisme pour vouloir la guerre qui imposerait à la France un général victorieux, haïssant trop l’anarchie pour ne pas continuer cette politique de fermeté et de répression qui, depuis les journées de juin, avait rétabli et maintenu l’ordre.

Mais un courant de plus en plus fort emportait l’opinion publique. Il y a des heures de panique où la France réagit avec une sorte de colère rétrospective. Elle s’en prend au pouvoir, quel qu’il soit, des faiblesses ou des fautes qu’elle-même a commises. Elle ne regardait pas le cabinet plein de talent et de scrupule qui entourait, en novembre 1848, la figure si honnête et si pure du général Cavaignac ; elle ne songeait qu’aux dangers qu’elle avait courus, aux ruines amoncelées, aux misères souffertes, et surtout à l’effroyable insurrection qui avait versé des flots de sang ; pour fuir de telles aventures, elle se précipitait dans les bras d’un aventurier, par ce seul motif que son nom lui rappelait la chute du directoire et lui faisait espérer le renversement de la république.

Le jugement de la France rendu, le ministère se retira, tandis que le général descendait du pouvoir avec une dignité simple en donnant à jamais un exemple aux hommes d’honneur et une leçon aux ambitieux.

M. Dufaure ne se laissa pas détourner par cet échec de ses devoirs envers le pays. Il fallait éviter avant tout le conflit qui menaçait d’éclater entre le nouveau président et la majorité. Les républicains, effrayés de la réaction qui se produisait dans le pays, reculaient devant une dissolution qui éclaircirait leurs rangs. Cette résistance était profondément impolitique et donnait beau jeu au président appuyé contre l’assemblée sur le sentiment vrai de la nation. Il fallait sortir au plus tôt de cette situation fausse. M. Dufaure soutint la proposition de dissolution : « Dans ce pays de droit, dit-il ; de discussion légale, vous entendez parler tous les jours, couramment, sans difficultés, de coups d’état, d’idées révolutionnaires, de projets de renverser tantôt un pouvoir, tantôt l’autre, de substituer