Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commissaires de police… Il faut surveiller tous ceux avec lesquels M. Dufaure a été au pouvoir, depuis Cavaignac jusqu’à Ducoux ; il faut réveiller partout le souvenir, non de l’empire, mais de l’empereur… Je reconnais l’ascendant de M. Dufaure sur l’assemblée et son mérite. S’il consent à entrer dans un ministère quelconque, j’en serai très reconnaissant ; mais sinon, non ! » M. Odilon Barrot aurait pu reconstituer un cabinet sans M. Dufaure. Après la lettre du président, son devoir était tracé : il fallait que M. Dufaure fût ministre de l’intérieur. La bonne politique l’exigeait tout autant que la dignité. En face des desseins assez maladroitement révélés qu’on concevait à l’Elysée, ce n’était pas trop des hommes à l’honneur desquels on remettait le pouvoir. M. Odilon Barrot déclara qu’il n’entrerait aux affaires qu’appuyé sur le ministre de l’intérieur qu’il avait désigné.

Les résistances du président eurent un autre résultat peu connu. M. Dufaure hésitait à accepter un portefeuille six mois après l’échec du général Cavaignac : il lui répugnait d’entrer dans les conseils de celui dont il avait considéré le triomphe comme une humiliation pour le bon sens public. Ses amis s’efforçaient en vain de mettre à néant ses scrupules. La lettre du président changea la situation. Il n’était plus appelé par l’Elysée, mais imposé par la majorité, délégué par elle avec les plus intimes compagnons de sa vie pour défendre l’assemblée contre des menées secrètes. Il était moins le ministre du président que le vigilant défenseur et le gardien de la liberté du parlement.

D’ailleurs des jours difficiles se préparaient, et nul ne pouvait accuser les nouveaux ministres de rechercher le repos en acceptant le pouvoir.

Les premières séances de l’assemblée législative mirent la majorité aux prises avec les violences de la montagne. Comptant environ cent vingt membres, l’extrême gauche ne cherchait plus aucun ménagement et ne songeait qu’à choisir l’heure propice à un soulèvement. Le siège de Rome, ordonné par le ministère, qui venait de rompre de pourparlers humilians avec les chefs de la république romaine, donna lieu à des interpellations passionnées. M. Ledru-Rollin, déclarant la constitution violée, eut l’audace de proclamer du haut de la tribune l’appel aux armes. L’insurrection prenait naissance sous les yeux du gouvernement dans la salle même où siégeait l’assemblée. « Et quel moment, s’écriait M. Dufaure, quel moment choisit-on pour essayer ces tentatives, pour anéantir parm nous tout ce qui est une règle, tout ce qui est une loi, tout ce qui trace à chacun ses devoirs, et la constitution, et la république ? C’est le moment où, à l’extérieur, nos frères armés sont engagés dans une lutte qui n’est pas sans périls ; c’est le moment où, à l’intérieur,