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Dans les crises violentes, l’emportement irréfléchi des esprits passionnés n’a-t-il pas trop souvent pour cause l’abstention des sages ? Il demeura malheureusement étranger à la discussion de la loi du 31 mai qu’il désapprouvait et dont la singulière destinée fut de ne pas atteindre la démagogie et de se retourner contre l’assemblée.

C’est entre un séjour à Brest et une excursion à Cherbourg, pendant qu’il préparait dans le repos laborieux de la campagne son rapport sur la marine que lui parvint l’écho des revues de Satory. Les cris de : « Vive l’empereur ! » poussés par des régimens sous les armes étaient l’avant-coureur des violences prochaines. Il revint à Paris en décembre le cœur serré. Il chercha à secouer ces tristes présages en discutant le régime douanier de l’Algérie, dont il aurait voulu par tous les moyens favoriser l’avenir. Pendant vingt jours, il prit une part continuelle au débat. Mais l’année 1851 ne souffrait pas ces pacifiques études : elle s’ouvrait, comme elle devait se fermer, par des cris de guerre.

Les acclamations séditieuses de Satory, provoquées par les amis du président de la république et blâmées par le commandant en chef de l’armée de Paris, avaient amené entre eux une rupture. Fidèle à la constitution et approuvé par l’assemblée dont il annonçait qu’il ferait respecter les droits, le général Changarnier fut destitué ; c’était le premier acte du ministère qui venait d’être reconstitué afin de délivrer l’Elysée de ce témoin incommode. L’assemblée se souleva. Dans la même séance, on vit M. de Rémusat demander que les députés se réunissent dans les bureaux pour aviser, M. Berryer soutenir avec éclat la proposition et M. Dufaure répliquer aux ministres. Rarement sa parole avait été plus émue. Avec une vivacité de langage qui ne lui était pas ordinaire, il se demanda par quelle ironie les ministres conviaient en ce jour même l’assemblée à ne pas s’occuper de politique, alors que pendant la prorogation le pouvoir exécutif excitait deux cents journaux à attaquer, à déconsidérer la représentation nationale, en répétant que l’autorité des assemblées était finie, qu’il fallait en revenir au règne d’une volonté unique. « Que veulent dire, s’écriait-il, ces cris séditieux qui n’ont jamais été poursuivis ? Pourquoi échauffer ainsi les masses d’un grand souvenir qui ne peut plus se réaliser, qui est en dehors de nos mœurs, et que trente-six ans de gouvernement parlementaire doivent avoir pour toujours relégué dans l’histoire ? Comment se fait-il que. ce soit le lendemain du jour où il a dit qu’il respectait et qu’il ferait respecter les droits de l’assemblée que le général soit révoqué ? » La majorité était tout entière avec M. Dufaure dans cette revendication de sa dignité. Mais que pouvait-elle faire ? Réunie dans ses bureaux, elle hésita à engager la lutte. L’armée de Paris, dont elle pouvait espérer la veille encore l’obéissance, ne lui appartenait plus,