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travestir en récitatifs le dialogue parlé. Peut-être M. Ambroise Thomas, cédant à cette influence, s’imaginait-il élargir son œuvre et mieux la mettre en rapport avec le roman de Goethe ? C’était se méprendre ; les jolies choses ne gagnent rien à se grandir hors de leurs proportions. Les scrupules d’ailleurs venaient trop tard ; l’intégrité de la composition du poète n’était plus à sauver, et l’on endommageait gravement un modèle d’opéra comique. Aussi l’erreur a-t-elle peu duré et voyons-nous que, sur les scènes étrangères, — même en Allemagne, — la forme primitive a prévalu.

M. Ambroise Thomas appartient à cette race d’artistes convaincus et laborieux qui s’avancent lentement, par étapes, et c’est parce que Mignon représente à nos yeux une de ces étapes, et la plus caractéristique peut-être, que nous avons pris plaisir à nous y attarder. Né à Metz en 1811, M. Ambroise Thomas avait vingt-six ans lorsqu’il débuta par la Double Échelle, un de ces petits actes qui déjà, du temps de Monsigny, de Dalayrac et de Méhul, faisaient les délices des habitués de l’Opéra-Comique et dont la vogue s’est depuis continuée avec le Chien du Jardinier, Gilles ravisseur, les Noces de Jeannette et tant d’autres bluettes signées Maillard, Grisar et Victor Massé. Aujourd’hui, nos prix de Rome ne montrent plus guère qu’ironie et dédain pour ce vieux droit d’avènement que les traités leur assuraient ; ils préfèrent courir chez Pasdeloup, qui leur ouvre sa porte à deux battans. Est-ce un avantage ? On en peut douter. Pour aider à la fortune d’un compositeur qui se destine au théâtre, — et la plupart de nos jeunes musiciens visent là, — toutes les suites d’orchestre ne valent pas un acte d’opéra comique comme la Double Échelle ; mais le temps est aux grandes escalades, personne ne veut commencer par le commencement, ce qui, n’en déplaise aux maîtres symphonistes de l’heure actuelle, est encore le meilleur moyen d’arriver. L’exemple de M. Thomas l’a bien prouvé.

Un premier succès en amena d’autres : le Perruquier de la Régence, Raymond, le Caïd, le Songe d’une nuit d’été. Je cite de mémoire sans trop me préoccuper d’ordre chronologique, mon dessein étant d’insister sur les deux ouvrages qui furent la dominante de cette première évolution : j’ai nommé le Caïd et le Songe d’une nuit d’été ? deux parutions très françaises et dont l’une a même une pointe spéciale d’esprit parisien. Vous me direz que cela touche à l’opérette. C’est une turquerie, soit, mais d’un appétissant ragoût et qui se moquait fort agréablement d’un certain donizettisme de circonstance. Ces sortes d’épigrammes à l’adresse de la musique italienne, à force de se reproduire chez nous d’âge en âge, ont fini par devenir un poncif. Méhul dans l’Irato, Halévy dans le Dilettante d’Avignon, n’ont-ils pas voulu de même parodier Paisiello et Rossini ? De l’Irato, il nous reste le quatuor ; du Dilettante d’Avignon, rien