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encore d’un certain renom, et combien d’opéras depuis lors ! Les deux années qui viennent de s’écouler en ont vu fleurir et mourir jusqu’à trois. Même affluence de biens du côté de l’Allemagne. Nous parcourions dernièrement un volume d’essais dramatiques de Louis Uhland, publiés après sa mort, et qui contient aussi des fragmens d’une Françoise de Rimini. L’œuvre, quoique restée à l’état d’ébauche, m’a semblé curieuse ; je l’ai lue et relue, moins peut-être à cause du sujet que l’opéra nouveau remet en discussion que par cet intérêt qui, pour moi, s’attache aux moindres conceptions d’un grand poète. La conception n’est guère ici qu’un plan entremêlé de quelques scènes. Mais, avant de le raconter, disons un mot du fait historique générateur qui devait, à travers les âges, fournir matière à tant de poésie, de peinture et de musique.

Françoise, fille de Guido da Polenta, seigneur de Ravenne, était mariée à Lanciotto, fils aîné de Malatesta, seigneur de Rimini. Lanciotto, de nature ingrate et contrefait, avait un frère, Paolo : la jeunesse, la beauté, la bravoure et la courtoisie en personne. Elle et lai se plaisaient à lire ensemble le roman doux et triste de Lancelot du Lac ; comment il s’éprit d’amour pour la reine, mariée, elle aussi, et comment il fut heureux d’un baiser que la belle Genièvre mit la première sur sa bouche. Hess ! un baiser, eux aussi, les devait rendre heureux ; seulement ils ne lurent pas ce jour-là davantage, car Lanciotto, les ayant surpris, les tua. Dante avait habité Ravenne. « Le cœur meurtri de cette flèche dont l’arc du bannissement l’avait frappé, » il s’était réfugié dans la cité des Polenta et de là promenait aux alentours, selon son habitude, ses rêveries de poète et ses haines de gibelin ; intempérant et sublime, âme troublée sans rémission : « Que cherches-tu ? lui demande un moine qu’il rencontre un soir au coin d’un bois, « que viens-tu chercher parmi nous ? » Et Dante lui répond : « L’apaisement. »

L’apaisement ! qu’en eût-il fait, lui dont l’agitation était la vie ? Il errait morne, silencieux, plein de rancunes ; pas un bouquet d’arbres, pas un rocher, pas un ruisseau de ces solitudes que sa trace n’ait consacrés. « Amplius ! amplius ! Dante Alighieri, pour toi l’apaisement n’est point ici-bas. Comme une vapeur qui monte vers la nue, l’idéal s’élève en secouant la poussière terrestre et retourne dans l’infini à la Divinité dont il émane ; mais toi, tu ne reverras plus Florence. Tu parcourras l’enfer et le purgatoire, tu graviras de ciel en ciel jusqu’à l’empyrée ; la rose incandescente dont les âmes des bienheureux forment les feuilles, tu la contempleras, mais Florence et son campanile et la maison de Béatrice, plus jamais tu ne les reverras ! »

Ses migrations à travers l’Europe, Boccace nous les a contées ; il avait exploré la Bretagne, connu Paris, champ de bataille de la