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autorité personnelle. L’autocratie est un soleil qui ne veut point admettre de satellite de peur d’en voir son propre éclat éclipsé ou obscurci.

La Russie n’en sent pas moins le besoin impérieux d’un cabinet homogène, afin d’assurer au gouvernement l’unité de direction, qui lui a fait défaut jusqu’à présent. C’est par là peut-être que commencera la transformation politique de l’empire. Un pareil conseil, avec ou sans présidence officielle, changerait forcément toutes les relations du souverain et de ses ministres. Un ministère solidaire, collectivement responsable, prendrait fatalement vis-à-vis de l’empereur une attitude d’indépendance inconnue jusqu’à présent ; ii traiterait bientôt avec l’autocrate de puissance à puissance. Pour le conserver au pouvoir, le tsar serait obligé de compter avec lui, de lui laisser le champ libre, parfois même de lui donner carte blanche. Le cabinet se sentirait peu à peu responsable devant la société et le pays autant que devant l’empereur. L’opinion serait pour lui comme une sorte de parlement en vacances dont il s’efforcerait de gagner la confiance. Unis, et agissant de concert en vertu d’un programme commun, les ministres, de quelques restrictions légales qu’on circonscrive leur pouvoir, cesseraient d’être les simples instrumens de la volonté souveraine. Le tsar pourrait se trouver presque réduit au rôle de souverain constitutionnel sans constitution ni parlement. Cette réforme, en apparence si modeste, qui semble la plus urgente de toutes, implique au fond une sorte de révolution ; peut-être même qu’une fois adoptée en principe, elle serait aussi difficile à établir et à faire durer qu’une constitution et une représentation politique.

Quoi qu’on imagine, on ne saurait donner plus d’unité à l’administration et au gouvernement sans empiéter indirectement sur l’autocratie, sans marquer une limite aux droits personnels du souverain en même temps qu’à ceux de ses ministres. Pour cela, par exemple, on a proposé d’enlever à ces derniers, et par suite à leur maître, la faculté de décider aucune affaire sans le consentement de tous leurs collègues ; on a érigé en principe que les doklades ou rapports ministériels ne devraient être soumis 4 la sanction suprême qu’après une délibération du conseil. Le procédé est des plus simples ; mais, s’il n’était accompagné d’aucun autre changement dans l’état, si, en droit, le pouvoir absolu restait entier, il serait difficile d’assurer, dans la pratique, la stricte exécution d’une pareille règle. Comment, en effet, interdire à l’empereur d’arranger telle ou telle affaire avec un ministre favori, et de quelle manière le contraindre à ne rien trancher en dehors de son conseil ?

Cette question a déjà été, au printemps de 1881, l’occasion de