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constitutionnalisme latent. Aussi est-il douteux qu’il soit employé franchement, bien que l’empereur Alexandre III paraisse comprendre la nécessité de donner au gouvernement plus de cohésion, et semble, par suite, disposé à laisser la direction des affaires à une influence prédominante comme aujourd’hui celle du général Ignatief.


II

Non moins grands sont les défauts de l’administration locale, non moins urgent le besoin de réforme. On sait quels sont les vices invétérés de la bureaucratie russe, l’ignorance, la paresse, la routine, l’arbitraire, la vénalité surtout. Pareille à un venin ou à un virus répandu dans tout le corps social, la corruption administrative en a empoisonné tous les membres, altéré toutes les fonctions, énervé toutes les forces. La vénalité a fait des meilleures lois une lettre morte ou une menteuse étiquette, elle a tari dans ses sources le développement naturel de la richesse publique, elle a préparé au gouvernement et à la nation d’humilians mécomptes sur les champs de bataille et facilité aux conspirateurs l’exécution des plus invraisemblables attentats.

Je ne veux pas refaire ici la triste peinture des vices secrets dm tchinovnisme et des honteux ulcères de l’administration impériale[1], C’est là un sujet trop répugnant pour s’y appesantir volontiers ; ce que je suis obligé de constater, c’est que, sous ce rapport comme sous bien d’autres, le long règne d’Alexandre II n’a point tenu les espérances qu’il avait suscitées à son aurore. S’il y a eu progrès dans la première moitié du règne, il y a eu plutôt recul dans les dernières années. La guerre, qui partout ouvre une ample carrière aux intrigans et aux spéculateurs, a, durant la double campagne de Bulgarie et d’Arménie, livré un vaste champ aux tripotages, aux exactions de toute sorte. Les souffrances du soldat, mal nourri et mal vêtu, ont enrichi de nombreux aventuriers et, avec les fournisseurs infidèles, de hauts personnages civils et militaires, si bien qu’en dépit des réclamations de l’opinion publique le gouvernement a été longtemps sans oser faire de procès aux contractans les plus compromis, de peur de laisser dévoiler de trop nombreuses et trop hautes complicités[2].

  1. Voyez, par exemple, la Revue du 15 décembre 1877. Le lecteur trouvera bientôt de nouveaux détails à cet égard dans le deuxième volume de l’Empire des tsars et les Russes.
  2. Nous devons dire que récemment on s’est décidé à poursuivre devant les tribunaux quelques-uns des intendans accusés d’actes coupables.