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seule confirmation et, pour ainsi dire, le seul sceau authentique des ordres impériaux.

Faut-il montrer combien cette défiance invétérée envers les agens réguliers du pouvoir met d’intervalle entre le moujik et le tsar, entre le peuple et l’autocratie ? Faut-il montrer le parti que, à une heure critique, pourraient tirer de ce soupçonneux et naïf scepticisme villageois des agitateurs sans scrupules, toujours disposés à répandre dans les foules crédules des rumeurs mensongères ? De tous les peuples contemporains le peuple russe est encore le plus dévoué à son souverain ; mais son peu de foi dans l’administration le rend à certains instans capable d’émeute et de rébellion par obéissance, capable de se faire par ignorance l’aveugle instrument des pires ennemis du pouvoir qu’il vénère.


III

Quel est le moyen de rendre au peuple confiance dans l’administration et dans les représentans attitrés du pouvoir ? Quel est le moyen de lutter contre les abus, de refréner l’arbitraire et de déraciner la vénalité ? Il n’y en a qu’un, c’est de ne plus mettre toute sa foi dans la bureaucratie et la police, c’est de compter moins sur le tchinovnisme et davantage sur le pays, c’est en un mot d’obtenir le concours actif de la société. En dehors de là, Alexandre III, tout comme ses prédécesseurs, restera impuissant contre les abus administratifs ; la bureaucratie, véritable souveraine de l’empire, continuera à gouverner à son profit, au détriment du trône et du pays.

Alexandre II, dans ses années les mieux inspirées, a, il est vrai, essayé sans succès de ce remède nouveau. Il a créé des assemblées provinciales (zemstvos), il a donné de libres municipalités aux villes et aux communes, il a tenté d’implanter dans le vieux sol moscovite le self-government local ; mais tout cela, il l’a fait malheureusement, comme il faisait toutes choses, d’une manière incomplète, sans esprit de suite, sans continuité de volonté ou d’énergie, s’effrayant de ses propres œuvres et les laissant mutiler ou annuler dans la pratique par les mains qui en avaient la garde. Puis, en créant les assemblées provinciales et les conseils municipaux, Alexandre II les avait jetés au milieu de l’ancienne organisation administrative et de l’ancienne hiérarchie, sans modifier les fonctions et les droits des tchinovniks qui possédaient seuls l’autorité effective et gardaient seuls la responsabilité. En faisant appel au self-government, il avait laissé presque intact le vieux régime bureaucratique sans vouloir s’avouer leur incompatibilité. Des deux forces ainsi mises en présence, il fallait que l’une se subordonnât l’autre, et, au rebours des