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insistance qui, précisément, est le fin de leur art ? Qu’ils se révoltent donc tous ensemble contre Pot-Bouille, et puisse enfin leur public se dégoûter un jour avec eux de cette sorte de littérature ! c’est bien. Mais qu’ils commencent par confesser qu’eux-mêmes ne sont pas tout à fait innocens de ce qu’ils reprochent à M. Zola ! ce sera mieux. L’action d’un écrivain sur son temps n’est jamais égale à la réaction de son temps sur l’écrivain. Ce sont de certains journaux qui, lentement, mais sûrement, depuis quelques années, ont créé l’atmosphère factice où se meut l’imagination de M. Zola, comme ils ont insensiblement constitué le milieu où nous avons vu réussir des romans tels que l’Assommoir et tels que Nana. L’une des prétentions de M. Zola que l’on trouve le plus exorbitante, c’est quand il se pose en moraliste et censeur des vices de son temps. On a cent fois raison. Mais si c’est, comme on le prétend, remplir un devoir qu’étaler tout au long, dans les colonnes d’un journal, le compte-rendu de tel procès d’assises que je ne veux pas autrement désigner, pourquoi donc M. Zola, quand il nous introduit à son tour dans les secrets du ménage Campardon, ferait-il autre chose que s’acquitter aussi, lui, d’une mission ?

Il semble, en vérité, que l’on ignore par quelle accoutumance inconsciente, insensible, des yeux et de l’oreille, par quelle corruption de l’imagination, par quelle contagion, enfin, de l’exemple, successive mais infaillible, le goût public en arrive à ne s’effaroucher plus seulement du plus grossier cynisme et de la pire obscénité. Mais il faut rendre à chacun ce qui lui appartient. Quoi que l’on dise de Pot~Bouille, nous y souscrivons, et nous pouvons nous vanter de n’avoir pas attendu Pot-Bouille pour le dire ; mais que l’on fasse de M. Zola maintenant une espèce de bouc émissaire, ce n’est, pour quiconque y voudra réfléchir, ni généreux, ni loyal, ni juste. Le roman naturaliste, en général, et les romans de M. Zola, plus particulièrement, ont profité de cette fâcheuse évolution du goût public ; je crois que l’on peut dire, non pas pour leur excuse, mais pour la confusion du public, qu’ils ne l’ont assurément ni déterminée, ni provoquée.

Je conviens d’ailleurs qu’à l’inconvenance du fond M. Zola, par surcroît, s’applique à joindre la grossièreté de la forme. Encore bien qu’il ne soit pas du tout vrai que ce qui est obscène ou libertin au fond cesse de l’être parce qu’il est enveloppé d’une forme gracieuse ou spirituelle, j’aime donc à croire que cette grossièreté de la forme est la grande et bonne raison du soulèvement de l’opinion contre Pot-Bouille. On peut dire, en effet, que l’Assommoir était un roman de mœurs populaires ou, plus exactement, populacières, et qu’après tout le langage qui s’y parlait, nous en avions de ci, de là, du côté de la Villette et du boulevard des Gobelins, entendu les mots bourdonner à notre oreille. Il y avait d’ailleurs accord de la forme et du fond, et