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C’est le mensonge, — la vérité est ailleurs, — et nullement poétique. Elle est dans l’abdication du respect et de la dignité de soi-même ; elle est dans ces compromissions humiliantes : les valets dont il faut payer les insolentes complaisances et subir les familiarités ironiques ; les rencontres furtives, au loin, dans quelque coin écarté de Paris, dans une chambre banale d’auberge ; les rendez-vous donnés, repris, de nouveau convenus et manques sous la perpétuelle menace de la surprise ; elle est dans la catastrophe finale et le dénoûment prévu, toujours et partout ridicule, même quand il tourne au tragique. Voilà le roman que je voudrais lire, et voilà le roman que l’auteur de Pot-Bouille a manqué. C’est qu’une plume telle que la sienne, d’où les gros mots coulent naturellement et comme sans qu’il y pense, ne pouvait attraper un sujet, où, d’autant que la réalité est plus crue, il faudrait que la plume fût plus délicate et plus chaste. C’est à ceux qui veulent moraliser qu’on ne pardonne pas d’employer les mots qui éveillent trop vivement les idées de ce qu’ils veulent proscrire. Et parmi beaucoup d’autres lois de son art, c’en est une que je doute, pour plus d’une raison, que M. Zola comprenne.

C’est comme encore, dans ce même Pot-Bouille, quand il a voulu nous montrer quelques-unes de ces vilenies que l’argent fait commettre. Il s’y prend de telle manière, il met de tels mots dans la bouche de ses personnages, il leur prête enfin de telles façons qu’il est permis de croire que, dans une société de fripons partageant entre soi les dépouilles d’une dupe, on n’agirait, en vérité, ni ne parlerait autrement. Dans la caverne où Gil-Blas, né laquais cependant, fit sa seconde expérience des réalités de la vie, le capitaine Rolando, qui ne mâche pourtant pas ses mots, n’eût pas osé se servir du vocabulaire de M. Zola. Comme je me garderais bien de donner à personne le conseil de lire Pot-Bouille, je suis fort empêché de renvoyer au volume. Mais si j’accorde volontiers qu’il n’y a rien de moins bourgeois que le désintéressement, peu de choses aussi sont moins bourgeoises que l’improbité positive et l’indélicatesse consciente d’elle-même. L’argent, qui est le tout du bourgeois, parce qu’en effet, où manque la naissance et où fait défaut le mérite personnel, il est le solide fondement de la considération, fait commettre plus de vilenies peut-être au bourgeois qu’à tout autre homme. Mais presque jamais il n’a claire conscience de les commettre, et bien pourvu qu’il est de toute sorte de sophismes qui lui cachent la vue de ses véritables motifs, il n’a garde, comme le croit M. Zola, d’arborer ses principes au vent et de s’en faire un panache. Nous en revenons toujours à la même conclusion. Toutes les intentions de M. Zola, bonnes ou mauvaises, louables ou condamnables, sont gâtées par le vice de l’exécution. Ainsi, — quand il faisait campagne dans les journaux, lui arrivait-il quelquefois, assez souvent même, de