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M. Zola sera sur le point d’écrire son roman militaire, « il étudiera la vie militaire, telle qu’elle est, au risque dépasser pour un mauvais patriote. » Si M. Paul Alexis a bien compris les paroles du maître, et si je comprends bien à mon tour les paroles de M. Paul Alexis, cela veut dire que M. Zola, quoique ne l’ayant pas étudiée, n’a pas moins des idées sur la vie militaire, et que ses études ne réussiront pas à l’en faire changer. Il n’avait pas non plus étudié la bourgeoisie parisienne quand il conçut Pot-Bouille, mais il commença par se faire une certaine idée de la bourgeoisie parisienne, et s’étant mis alors à l’étudier, il n’en changea pas. C’est bien ainsi que je l’entendais. M. Zola n’est pas un homme d’imagination, mais c’est un homme de logique. Il n’invente pas ; mais il observe pas davantage : il déduit. « Un tel fait cela. Qu’est-ce qui découle ordinairement d’un fait de ce genre ? Cet autre fait. Est-il capable d’intéresser cette personne ? Certainement. Il est donc logique que cette autre personne réagisse de cette manière… Je cherche les conséquences immédiates du plus petit événement ; ce qui dérive logiquement, naturellement, inévitablement du caractère et de la situation de mes personnages. » Et c’est comme cela qu’à mesure que l’on avance dans la suite des déductions, et que l’on s’éloigne du point de départ, c’est justement de la nature, de la réalité, de la vie enfin que l’on s’éloigne. Tant s’en faut que le secret de la vie soit dans la simplicité qu’au contraire il est dans la complexité même ; et la logique, pour ainsi dire, est institutrice de sophismes autant que l’imagination est maîtresse d’erreurs. C’est là précisément ce qui rend l’observation si longue et l’imitation de la vie si difficile. Il n’y a pas de volonté si souverainement maîtresse d’elle-même de qui les combinaisons et les calculs ne soient à chaque instant de la vie contrariés par l’imprévu, comme il n’y a pas de passion, si violente soit-elle, dont le développement logique ne soit à chaque instant dérangé par quelque subite intervention du hasard. Et c’est pourquoi les personnages de M. Zola, logiquement gouvernés par l’espèce de mécanisme intérieur que M. Zola leur a donné, sont moins poétiques assurément, mais non pas moins faux que les héros du drame romantique.

L’observation ne consiste pas seulement à savoir ouvrir les yeux, comme on le croit à Médan, sur le monde extérieur. C’est même peu de chose, quoi qu’on en pense et quelque mal que l’on s’y donne, que de rendre « vivant et palpable le perpétuel transit d’une grande ligne entre deux gares colossales, avec stations intermédiaires, voie montante et voie descendante. » Mais c’est l’intérieur qu’il faudrait atteindre. Je ne défie pas seulement M. Zola, dans ce roman de Pot-Bouille, de me dire en quoi ses Bachelard et ses Duveyrier sont humains, je le défie de me dire en quoi même ils sont de leur condition, pourquoi, l’un est un magistrat et pourquoi l’autre un commissionnaire, à quels traits