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inhumaines de cette science. C’est que, sans s’en douter et aux dépens de la logique, il y ajoute simplement son âme. C’est avec son âme toute soûle qu’il a créé cette morale, aussi étrangère à l’impassible nature que la nature l’est elle-même à nos passions et à nos douleurs.

Il n’est pas douteux que M. Littré n’ait échoué dans la tentative qu’il a faite pour constituer scientifiquement la psychologie et la morale. Quant aux problèmes qui dépassent la sphère humaine, il les écarte simplement et se contente de railler les spiritualistes et leurs vaines prétentions de les résoudre. « On nous reproche, dit-il, de laisser de grandes lacunes qui empêcheront à jamais les doctrines positives de prévaloir dans le gouvernement moral des sociétés. On dit que nous ne satisfaisons aucunement aux besoins que l’âme humaine éprouve de s’élever au-delà des bornes de l’univers visible, de s’occuper des mystères de l’inconnaissable, et d’écouter l’instinct qui nous fait croire que notre vie se prolonge au-delà du tombeau. A cela notre réponse est facile, non qu’en effet nous satisfassions en rien cet ordre de désirs, mais parce que, aussi curieux que nos adversaires des secrets d’outre-monde et d’outre-tombe, notre curiosité n’a jamais obtenu de résultats. Il est pénible sans doute d’être ainsi renfermé dans le domaine du relatif ; nous n’avons pu en sortir par nous-mêmes, et, résignés à dire avec le poète :

Sors tua mortalis, non est mortale quod optas,


nous attendons qu’on nous apporte des preuves meilleures que celles qui ont cours. »

Certes je n’entreprendrai pas de proposer, au pied levé, à M. Littré, des preuves meilleures que celles qui ne l’ont pas satisfait dans cet ordre de problèmes. C’est un tout autre objet que je poursuis en ce moment. Mais, peut-être, serions-nous en droit de demander à notre sévère critique d’être plus difficile pour les objections qu’il présente dans les questions de ce genre. Voyez plutôt quel embarras se manifeste dans l’examen qu’il entreprend de l’idée de la finalité, cette idée maîtresse de la métaphysique, complice et garant de l’hypothèse d’un plan et d’un dessein dans la nature. Qu’on relise la Préface d’un disciple[1] on se convaincra facilement de la perplexité de cet esprit à la fois systématique et honnête, qui craint de donner les mains à une concession redoutable pour

  1. Principes de philosophie positive.