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Il était né avec un naturel aventureux et véhément qui le poussait aux actes imprudens et à la recherche des émotions fortes et dangereuses ; les circonstances le servirent à souhait. En s’ouvrant à la vie, ses yeux rencontrèrent le spectacle de la révolution française, et par sa situation de famille il se trouvait, on peut le dire, aux premières loges pour suivre les péripéties de ce drame incomparable. Une anecdote racontée par M. Francis Wey montre bien à quel degré d’exaltation était arrivée sa jeune sensibilité sous l’influence de ce spectacle. Son père, ex-oratorien et ancien camarade de Fouché, était alors magistrat à Besançon, dont il fut encore le second maire constitutionnel, et, en cette double qualité, il se trouvait tenu d’appliquer les lois contre les émigrés. Une nièce de l’abbé d’Olivet tombait sous le coup de ces lois ; le jeune Nodier fut amené à s’y intéresser, et il parvint à l’arracher a la sévérité paternelle par une menace de suicide faite avec trop de résolution pour qu’il fût prudent de la braver. C’est à peu près vers la même époque que M. Nodier eut l’idée passablement singulière d’envoyer le jeune Charles à Strasbourg pour y prendre des leçons de langue grecque d’Euloge Schneider, ex-capucin de Cologne, helléniste renommé et terroriste en voie de se créer une célébrité que les événemens se chargèrent de faire épanouir bien vite. Dans ses Souvenirs de la Révolution, Nodier nous adonné le récit légèrement romantisé de ses relations avec ce personnage ; même en faisant dans ce récit la part de l’imagination aussi large que possible, celle de la mémoire ne doit pas avoir été moins considérable, car il est évident que les impressions qu’il rapporta de Strasbourg sont de celles qui s’oublient difficilement. Voyez un peu cependant les contradictions de la nature humaine à ces époques de cataclysme et de transformation où les principes de l’éducation et les habitudes de la vie sociale survivent aux régimes qui les ont créés ; ce magistrat si sévère contre les émigrés livrait en toute confiance son fils à l’amitié d’un quasi proscrit, M. Girod de Chantrans, ex-officier du génie. Ce contraste entre le rôle officiel et les sentimens secrets du cœur, entre la dureté apparente et les révoltes cachées de l’humanité qui se présenta si souvent à l’époque de la révolution, a été peint plusieurs fois par Nodier avec sensibilité et vérité, notamment dans Thérèse Aubert : c’est qu’en effet pour trouver ses couleurs il n’avait qu’à se souvenir. M. de Chantrans, forcé de quitter Besançon par suite du décret qui interdisait aux ci-devant nobles le séjour des places de guerre, amena l’enfant à son château de Novilars, où il lui donna ses premières leçons de botanique et d’entomologie. Le portrait que Nodier a tracé d’une plume attendrie au début de son joli récit de Séraphine nous dit assez combien l’influence de ce vieil ami fut sur lui