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mais à certaines réticences et allusions qui révèlent précisément ce qu’il prétend taire, on comprend que, s’il en parie peu, il s’en occupe, en revanche, beaucoup. Nodier n’avait pas un tempérament de fanatique ni de sectaire, et de sa vie il n’eut d’autres haines que des haines de fantaisie. Pourquoi donc le voyons-nous si souvent compromis dans toute sortes d’affaires obscures, tant sous le consulat et l’empire que sous le directoire ? Pour des raisons de jeune homme, dont la vanité et la démangeaison de célébrité furent les principales : lui-même en a fait l’aveu avec une contrition presque. touchante dans une page de celui de ses Souvenirs qui a pour titre : les Suites d’un mandat d’arrêt. Cette vanité cependant est bien instructive à observer, tant elle porte fortement l’empreinte de l’âme violente du temps. Cette gloire lugubre du conspirateur qu’il associait à la gloire littéraire, il la désirait et la recherchait avec une ardeur de passion qui doublait le révolté novice d’un véritable visionnaire. Son imagination maladive se repaissait de rêves de prisons, d’échafauds et d’exil dont la réalisation lui semblait le but le plus noble que pût se promettre une généreuse ambition. Voilà des rêves comme on en fait peu à vingt ans, et comme pouvaient seulement en faire les jeunes gens entrés dans la vie à cette période où « le génie funèbre qui planait sur la France épouvantée enveloppait dans ses immenses proscriptions toutes les époques de bonheur, la jeunesse et le printemps. » La phrase est de Nodier même.

Cette obsession malfaisante est sensible au plus haut point dans tous les écrits de sa jeunesse ; braver la tyrannie devint chez lui une idée fixe, une sorte de monomanie parfaitement caractérisée. « Ils ne savent pas, écrit-il dans le Peintre de Saltzbourg, ils ne sauront jamais combien est faible, étroite, imperceptible, la distance qui sépare un révolté de son empereur et le supplice d’un proscrit de l’apothéose d’un demi-dieu. » Cette phrase nomme le personnage qu’elle vise. Dès son avènement, Napoléon inspira à Nodier une antipathie qui ne s’est démentie en aucune circonstance et sous aucun régime. Nodier est, en effet, je crois, le seul écrivain de ce siècle qui ne se soit jamais mêlé un seul jour à ce concert triomphal où les ennemis politiques mêmes de l’empire, un Chateaubriand, un Lamartine, ont fait leur partie. Peu après l’établissement du consulat, et sous le coup du mécontentement fiévreux qu’il en ressentit, il se laissa conseiller par son camarade Oudet, — telle est au moins sa propre version, — d’écrire une ode contre l’usurpateur. Cette ode, la Napoléone, parut sans nom d’auteur, cela va sans dire, et eut la chance de déjouer toutes les recherches de la police consulaire. Elle est écrite avec véhémence, avec