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ne sont pas les sépulcres blanchis ou les figuiers stériles de l’Écriture ; la noblesse véritable appartient à ceux qui ne veulent pas être consolés par les retours capricieux de la fortune et ne consentent pas à se séparer d’une tristesse où ils ont trouvé le rajeunissement de leur être moral. Voilà certes une apologie du werthérisme aussi piquante qu’imprévue ; j’ose ajouter qu’elle ne me semble pas sans justesse.

En 1814, — nous conjecturons au moins que telle doit être la date, — son ami Weiss lui ayant annoncé qu’il se proposait de lui consacrer un article dans la Biographie moderne,aNodier, résumant en quelques phrases les principaux événemens de son existence, parle de huit mandats d’arrêts lancés contre lui sous le gouvernement de Napoléon. Admettons qu’il y ait ici quelque exagération ; même en réduisant ce chiffre de moitié, le nombre de ces mandats d’arrêt sera encore assez considérable pour nous feire comprendre combien cette condition de suspect qu’il s’était imprudemment créée pesa longtemps sur sa jeunesse. Il était à peine sorti de Sainte-Pélagie qu’il se vit impliqué dans le complot dénoncé par Méhée. Ce complot, plus en projet qu’en réalité, consistait dans une alliance entre les royalistes et les jacobins, et Nodier était accusé d’être très particulièrement un des traits d’union des deux partis. L’accusation n’était pas sans fondemens ; à défaut de preuves positives, bien des paroles mystérieuses, bien des sous-entendus trop discrets de la correspondance publiée par M. Estignard, indiquent que tel avait bien été le rôle qu’il s’était donné. Poursuivi pour ce fait, il lui fallut pendant de longs mois se dérober, courir de cachette en cachette, passer la nuit à la belle étoile et accepter l’aida de toute sorte d’équivoques compagnons, ennemis naturels des gendarmes, et, par conséquent, protecteurs non moins naturels de tous ceux qu’ils recherchent. Il nous a raconté, dans un récit ingénieusement dramatique, cette vie de héros du Freischütz à travers des solitudes merveilleusement faites pour l’évocation de Samiel, en compagnie de serviables mauvais garçons pour qui l’opération magique de la fonte des balles n’avait plus rien de mystérieux.

Cependant ces incartades follement généreuses avaient fini par créer à Nodier, dans sa ville natale, — c’est lui-même qui nous l’apprend dans cette correspondance, — une réputation de mauvais sujet des mieux caractérisées, qui lui paraissait des plus injustes et dont il s’indignait fort : « En attendant, écrit-il un jour à Weiss, que je sache s’il est à propos que je rentre dans une ~ville infâme où l’on se fait un jeu d’assassiner l’honneur à coups de calomnies, j’ai besoin de te voir ici. » Alarmé par cette vie de chemins de traverse et voulant y couper court, averti d’ailleurs par le déclin de ses forces, son père