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5° Écrire sous dictée un poème du chevalier, environ quinze cents vers anglais et traduire interlinéairement, mettre au net ;

6° Copier ou faire un romande milady dont on tire la dernière feuille et que tu recevras dans huit jours, deux volumes in-12, lire tous les soirs et discuter l’ouvrage du jour et de la nuit, corriger les épreuves trois fois ;

7° Copier ou faire une suite du roman de milady, au second volume duquel je viens d’arriver, etc.

Je ne me souviens pas de tout ; mais voilà, en comptant les doubles copies, au moins dix-huit volumes in-12 que j’écris en sept mois, sans parler d’à peu près deux cent cinquante lettres sous dictée et de plus quatre cents articles pour Prudhomme. Je ne t’étonnerai donc pas en te disant que l’écritoire ne nous quitte pas, même à table, et que je ne sais presque plus ce que c’est que le sommeil. J’ose poser en fait que dix hommes des mieux organisés suffiraient à peine à une pareille besogne sans y succomber à la longue. Pour t’expliquer cela, il faut te dire encore que le chevalier travaille régulièrement huit heures par jour avec une telle rapidité qu’en commençant ma copie au moment où il commence sa composition, à une page près, et en abrégeant tant que je puis, je suis au bout de quatre heures en arrière de quatre pages ; c’est une expérience que j’ai répétée soixante fois. Quant à milady, elle se fait apporter de la lumière auprès de son lit à quatre heures du matin, et à quatre heures et demie du soir, elle ne se lèverait pas, si elle n’avait broché dix pages in-folio. Penses-tu qu’il y ait au monde un bureau d’esprit d’une telle activité ?


Une telle lutte quotidienne contre une besogne plus renaissante que les têtes de l’hydre de Lerne ne pouvait pas être de bien longue durée, et un peu plus d’un an après son entrée en fonctions, une grossesse de sa femme fournissant un prétexte à Nodier, la séparation s’accomplit aux mutuels regrets des deux parties, mais non sans quelque dépit, semble-t-il, du côté du baronet. Redevenu libre, Nodier se retira pendant quelque temps dans sa maison de Quintigny, localité à laquelle son nom a créé une demi-célébrité. Cependant il fallait vivre, et les anciennes difficultés se représentaient, aggravées encore par la naissance d’un premier enfant. Cette circonstance de la paternité a fait vaincre bien des répugnances, et il est probable que ce fut sous son influence que Nodier se laissa persuader de solliciter auprès du gouvernement impérial. Son beau-frère, M. de Tercy, qui exerçait en Illyrie les fonctions de secrétaire-général de f intendance, s’entremit en sa faveur, et après quelques pourparlers, on lui trouva une place parfaitement assortie à ses goûts, celle de bibliothécaire de la ville de Laybach, dans la