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ni prévenir ses collègues, négocia directement avec O’Connell et lui promit que le bill de coercition, alors sur le point d’expirer, ne serait présenté de nouveau qu’avec de profondes modifications et notamment avec la suppression des cours martiales. Cette négociation, comme toutes les négociations secrètes, ne tarda pas à être découverte. Elle provoqua une explication très vive dans le cabinet. Lord Grey, fatigué de ces tiraillemens et de ces discussions, donna sa démission. Le cabinet libéral fut dissous.

Il se reconstitua immédiatement, mais sans Grey et sans Brougham. Les doublures prirent la place des premiers rôles. Le nouveau chef du cabinet, William Lamb, lord Melbourne, était un homme aimable, un grand seigneur sceptique et lettré, à la façon du XVIIIe siècle. Sa femme, lady Caroline Lamb, avait scandalisé les salons de Londres par une liaison affichée avec lord Byron. Lui, dans sa jeunesse, avait eu beaucoup de bonnes fortunes et l’on racontait que dans son âge mûr il en avait encore quelques-unes. Cela ne l’aurait pas empêché de bien gouverner l’Angleterre s’il avait eu, comme son beau-frère lord Palmerston, une véritable valeur personnelle, et s’il n’avait pas apporté dans sa vie politique tout autant de frivolité que dans sa vie privée. Ses qualités de cœur, qui étaient réelles, faisaient illusion à ses amis sur les faiblesses de son caractère. D’ailleurs on lui laissait pour lieutenant et un peu pour mentor le sage Althorp, qu’on avait décidé non sans peine à rester dans le cabinet comme ministre des finances et comme leader de la chambre des communes. A peine ces arrangemens étaient-ils pris qu’un événement imprévu vint tout remettre en question. Althorp perdit son père, le comte Spencer. Héritant d’une pairie, il quittait nécessairement la chambre des communes, et l’on était obligé de trouver un nouveau leader. Russell fut choisi par ses collègues. Il était en horreur à la cour, qui le regardait comme un démagogue. Guillaume IV repoussa la combinaison et du même coup congédia brusquement le ministère. On était au mois de novembre, en pleines vacances parlementaires. La crise ministérielle surprit tout le monde. On appela Wellington, qui ne consentit qu’à se charger de l’intérim et conseilla de s’adresser à Peel. Celui-ci voyageait tranquillement en Italie. On lui dépêcha James Hudson, le secrétaire particulier de la reine, qui le joignit à Rome, dans un bal, chez le prince Torlonia. L’Europe n’était pas alors sillonnée de chemins de fer. En faisant toute la diligence possible, James Hudson avait mis dix jours pour aller à Rome : Robert Peel en mit un peu plus pour revenir à Londres. Total : vingt-cinq jours d’interrègne ministériel, pendant lesquels Wellington faisait à la fois fonctions de chef du cabinet et de secrétaire d’état aux affaires étrangères, à l’intérieur et aux colonies.