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la Nouvelle-Galles du sud. À ce titre, il reçut de la reine, contre laquelle il avait autrefois conspiré, le titre honorifique de chevalier.

L’année 1848 vit la fin du chartisme en même temps que la défaite de la Jeune-Irlande. La révolution du 24 février avait cependant donné des illusions aux démocrates anglais. Il semblait à ce moment que l’exemple de la France allait être suivi par l’Europe entière. Feargus O’Connor se remit en campagne comme aux beaux jours de 1838 et de 1839. Dès le 13 mars, une grande démonstration chartiste eut lieu à Londres. Elle provoqua une certaine émotion dans le gouvernement et dans la masse de la population, émotion bien concevable à si peu de distance de la révolution qui venait d’éclater à Paris. Toutefois on ne perdit pas la tête. La police et les troupes furent mises sur pied. Les citoyens, de leur côté, s’enrôlèrent en foule comme constables spéciaux. Enfin le vieux Wellington, quoique adversaire politique du cabinet libéral, offrit ses services pour le maintien de l’ordre et prit le commandement de la force armée. Grâce à cet ensemble de mesures, la paix publique fut sauvée. Le 10 août, nouvelle manifestation : cette fois, il s’agissait de porter à la chambre une pétition chartiste revêtue, disait-on, de cinq millions de signatures. La pétition fut déposée par l’infatigable O’Connor. Une commission fut nommée pour l’examiner. Elle constata que les trois cinquièmes des signatures étaient fausses. On s’était amusé à mettre des noms comme ceux du prince Albert, du duc de Wellington de sir Robert Peel. Le peuple anglais prend au sérieux la politique. Il trouva cette plaisanterie de mauvais goût, et le chartisme perdit tout crédit. Feargus O’Connor eut une triste fin. En 1852, il se livra en pleine chambre des communes à de telles excentricités qu’on dut le soumettre à un examen médical. On reconnut qu’il était devenu fou. Bien des gens pensèrent qu’il l’était depuis longtemps. Il passa ses derniers jours dans une maison de santé.

Depuis 1848, l’histoire n’a plus à s’occuper ni du chartisme ni de la Jeune-Irlande. Cependant, après quelques années, certains points du programme de Feargus O’Connor et de ses amis sont repris par des hommes plus sérieux et finissent par prendre place dans la constitution anglaise : par exemple, le scrutin secret et l’abolition du cens d’éligibilité. La question irlandaise, de son côté, change de physionomie entre les mains d’un parti nouveau, d’un parti plus redoutable à certains égards que la Jeune-Irlande, d’un parti organisé et dirigé de l’autre côté de l’Atlantique par les Irlandais émigrés aux États-Unis : le fenianisme va entrer en scène.


EDOUARD HERVE.