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édifices. Il faut voir en place, dans leur cadre de pierre ou de marbre, ces peintures véritablement monumentales pour les apprécier avec toute connaissance. Les Jeux pour la patrie ont un effet grandiose et donnent une profonde impression. M. Puvis de Chavannes a évoqué là une vision de l’âge d’or dans sa pénétrante poésie et dans son calme souverain. Devant une telle œuvre, où se rencontrent la grandeur des lignes générales, la grâce mâle des figures, l’eurythmie des attitudes et le sentiment le plus élevé, il serait de mauvais goût de s’arrêter à des critiques de détail, de remarquer la lourdeur de certaines attaches, les imperfections du dessin intérieur des galbes. Il n’y a qu’à se laisser aller à une admiration franche et saine.

Ce rêve des douceurs sereines des âges évanouis, on est charmé de le continuer en regardant l’autre panneau de M. Puvis de Chavannes, qui a pour titre bien justifié : Doux pays. Des femmes demi-nues se sont arrêtées avec des enfans sur le rivage ombragé de citronniers de quelque île de la Grèce ou de l’Ionie. Tout en ramassant des fruits tombés des arbres, elles regardent une barque qui fuit au loin sur la mer d’un bleu intense, éclairée par un ciel safrané. Si cette œuvre n’a pas le caractère grandiose et héroïque du Ludus pro patria, on y retrouve la même poésie et une impression analogue de bonheur tranquille et de recueillement.

M. Roll nous ramène dans le temps présent. La Fête nationale du 14 juillet 1880 n’appartient pas précisément à l’âge d’or. Nous voici placé de la République, à l’amorce des grands boulevards, Restons là, car dans cette foule il nous serait difficile d’avancer. Aussi bien, le spectacle vaut qu’on le regarde. A gauche s’étend, dans la perspective oblique, la caserne du Château-d’Eau ; au fond s’ouvrent en deux larges trouées emplies de lumineuse poussière, le boulevard Voltaire et le boulevard du Temple. Au centre de la place s’élève la statue de la République, entourée de mâts supportant des écussons et des trophées de drapeaux. Le populaire couvre les trottoirs et les refuges, envahit la chaussée. Des ouvriers endimanchés et des jeunes filles dansent aux sons discords des cuivres d’un orchestre municipal établi pour la circonstance sur une estrade pavoisée. Un groupe d’amis fait halte devant une marchande de sirop de Calabre, qui a recouvert sa barrique, pour la tenir au frais dans cette fournaise, de menues branches vertes. Plus loin, voici une Victoria à deux chevaux forcée de s’arrêter. L’équipage attendra, comme on dit, que la rivière ait fini de couler. Les gamins, eux, se fraient facilement passage. Ils se glissent à travers les rangs pressés en braillant les refrains de la Marseillaise et en offrant des médailles commémoratives et des décorations civiques. Au troisième plan, défile, perdue dans les ondulations de la foule, la tête de colonne d’un régiment d’infanterie. « Vive l’armée ! vive la