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insuffisant des travailleurs français. Ces Belges, ces Italiens, ces Espagnols, se contentent de salaires que les Français n’accepteraient pas. Ceux-ci préfèrent soit la domesticité, soit le travail dans les usines et les ateliers, soit le petit commerce et la petite industrie. Ils vont dans les grands centres, où l’existence est moins rude, le labeur moins âpre, et les salaires, quoique aléatoires, plus rémunérateurs. Que ce soit un mal, le fait est de toute évidence. La santé du corps et la santé de l’âme s’accommodent mieux de la vie des champs que de l’existence incertaine qui s’agite dans les faubourgs des grandes capitales, mais le fait est que ce mal existe. Or, parce qu’elle est douloureuse, il ne faut pas se dissimuler la vérité. Il faut voir les choses comme elles sont : les Français désertent le sol français, et le secours des étrangers est nécessaire pour que le sol soit cultivé.

L’insuffisance du nombre des cultivateurs fait l’insuffisance de la culture. Il y a encore beaucoup de terres en friche qui pourraient être mises en rapport. Quant aux terres cultivées, des cultures perfectionnées pourraient doubler la production annuelle. Que l’on étudie, par exemple, l’état de l’agriculture dans le département du Nord. C’est là que la population rurale est le plus dense ; aussi c’est là que la terre est le plus fertile. Cette fertilité n’est pas seulement naturelle. Elle est due à l’industrie des habitans qui ont consacré tous leurs efforts à faire donner à la terre tout ce qu’elle peut produire. Ne pourrait-il en être de même dans les autres régions de la France ? Qui donc songera à aider les paysans, à leur faciliter les moyens de cultiver la terre, à leur faire abandonner les traditions routinières qui font obstacle à la grande culture ? Ne se trouvera-t-il pas des savans, des hommes d’état, des capitalistes, qui chercheront à enrichir la France par la culture meilleure du sol français ?

Le relèvement de l’agriculture aurait pour résultat immédiat une augmentation notable de la population. Le fils du paysan, malheureux aux champs, va chercher fortune à la ville, et alors, s’il se marie, c’est pour n’avoir, à l’exemple de ceux qui l’entourent, qu’un petit nombre d’enfans. S’il était resté laboureur, il aurait peut-être fait souche, et donné naissance à une nombreuse famille. La patrie a besoin de ces nombreuses familles. Ce serait donc, non-seulement faire acte d’équité et de justice, mais encore témoigner d’une grande sagesse politique que de consacrer tous ses soins à améliorer l’état du paysan. Il faut que le travail des champs soit une rémunération, au lieu d’être, comme à présent, un sacrifice. Il faut que Jacques Bonhomme trouve avantage et non misère à rester laboureur et à vivre dans sa chaumière, au lieu d’aller chercher dans la capitale je ne sais quel métier pour lequel il n’est pas fait. Le sol français peut produire plus qu’il ne produit. Il nourrit, bon an, mal an,