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d’impuissance. Il ne faut pas se résigner à mourir. Il vaut mieux essayer de lutter, et chercher comment, par quels moyens, lois, réformes, institutions, se pourra sinon arrêter, au moins diminuer l’infécondité volontaire de la France.

Notre organisation sociale parait si définitivement établie qu’il semble difficile d’y apporter de profondes modifications, et cependant il en est dont l’utilité serait manifeste. Nous oserons dire que nous regrettons le droit d’ainesse tel qu’il existait jadis chez nous, tel qu’il existe encore en Angleterre. Les tendances égalitaires et démocratiques qui triomphent aujourd’hui dans notre pays ne s’accommoderaient évidemment pas de cette inégalité flagrante, de ce privilège donné au fils aîné au détriment des filles et des autres fils. Mais cette réforme, ou plutôt ce retour à l’ancien droit, si elle était possible, ce qui paraît fort douteux, aurait tant d’avantages au point de vue de la fécondité de la population, que je ne puis me défendre d’un secret penchant en sa faveur. Les Anglais nous donnent un bon exemple de ces avantages du droit d’aînesse. Les fils cadets sont forcés de se créer une position sociale, car le père, quelque riche qu’il soit, ne leur laisse rien que son nom. De la toute une classe de jeunes gens instruits, actifs, énergiques, appartenant à d’excellentes familles, mais pauvres, et ayant besoin pour vivre de mettre en œuvre toutes les ressources de leur intelligence. Beaucoup s’expatrient et vont faire fortune dans les magnifiques colonies que la mère patrie a créées au-delà des mers. Ils répandent au dehors la gloire du nom anglais et accroissent dans des proportions inouïes la richesse de leur patrie. Si le droit d’aînesse n’avait pas existé, ils eussent joué le rôle peu désirable de consommateurs. Pauvres et actifs, ils sont devenus des producteurs. Nul doute que l’Angleterre ne doive une bonne part de sa richesse à ces cadets que les lois du pays ont mis dans la nécessité de travailler et de produire.

Nous n’insisterons pas davantage sur ce point. Aussi bien ne voulons-nous parler que des réformes possibles, et celle-là, grâce au goût excessif de logique et d’équité qui est l’apanage de tout citoyen français, ne paraît guère possible à réaliser. Mais si c’est une chimère que de rêver le retour du droit d’aînesse, ne pourrait-il être établi une plus grande liberté dans la répartition de l’héritage ? Le code ne laisse presque aucune latitude au père de famille. Voilà une réforme facile et qui ne soulèverait, je pense, aucune objection sérieuse. Les auteurs du code civil n’ont pas permis au père de famille de déshériter ou d’avantager au-delà d’une certaine limite, un ou plusieurs de ses enfans. S’il y a plusieurs enfans, le partage du bien paternel, après la mort du père, est presque toujours nécessaire. Assurément cette crainte qu’après sa mort son champ sera partagé,