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même, il faut le dire, un peu diffuses. C’est une doctrine que nous avons appelée réalisme par opposition à l’idéalisme moderne ; et c’est le point qui nous a paru le plus intéressant à mettre en relief dans tout son ouvrage.

Ce n’est pas que cet ouvrage ne soulève bien d’autres problèmes, et ne contienne bien d’autres idées sur les corps, sur l’âme, sur Dieu ; mais ce serait reproduire ici une métaphysique tout entière, ce qui dépasse et notre temps et nos forces. Nous avons cru devoir nous borner au point le plus saillant et le plus original, celui du moins qui paraît le plus en rapport avec la philosophie de notre temps : car il faut savoir que l’on n’a jamais plus douté de l’existence des corps que dans ce temps de matérialisme. Nous avons donné une exposition aussi fidèle que possible d’un ouvrage recommandable surtout par la bonne foi, le désintéressement scientifique, l’esprit pacifique de l’auteur : nous y avons mêlé quelques doutes, énoncé quelques difficultés ; mais nous avons tenu surtout à faire parler l’auteur. Essayons dans une conclusion rapide de reprendre à notre point de vue les problèmes soulevés par lui, et d’indiquer dans quelle mesure nous acceptons sa doctrine, dans quelle mesure nous nous en séparons.


III

Herbert Spencer[1] a dit que le progrès, en philosophie, se fait par une série d’oscillations dont l’amplitude va sans cesse en diminuant et dont les termes extrêmes tendent à se rapprocher. Nous voyons, en effet, dans chaque problème, la distance diminuer entre les deux hypothèses opposées, et chacune d’elles, sans le savoir et sans le vouloir, s’inspirer réciproquement l’une de l’autre. Lorsqu’une doctrine prend le dessus, c’est en général parce qu’un certain nombre de faits nouveaux ou mieux étudiés lui ont donné l’avantage : une fois en possession de la faveur populaire, elle attire à elle et absorbe la plupart des faits, laissant dans l’ombre ceux qui lui sont par trop contraires : il en est ainsi jusqu’à ce que la nouveauté de l’hypothèse ait été épuisée ; c’est alors que l’hypothèse contraire reparaît en invoquant les faits négligés, mis en lumière

  1. Principes de psychologie, t. II, VIIe partie, chap. XIX. « La controverse métaphysique a pour objet la délimitation des frontières, et son histoire est celle de ces alternatives rythmiques que produit toujours l’antagonisme des forces, entraînant l’excès tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Mais les oscillations deviennent de moins en moins fortes. » Spencer n’applique cette théorie qu’au conflit du réalisme et de l’idéalisme, mais elle est applicable à tous les problèmes.