Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détail par quel concours de circonstances, en l’an de grâce 1900, toute une armée française envahit le royaume-uni en passant par le tunnel ; Il nous assure qu’en ce temps-là l’Europe vivait dans une paix profondes. Les cabinets de Londres et de Paris avaient bien échangé quelques propos un peu vifs au sujet de l’Egypte ; mais ce n’étaient là que des aigreurs passagères, des affaires de bibus, auxquelles les gens posés, les politiques sérieux n’attachaient aucune importance. La France était alors la meilleure amie de L’Angleterre, qui à la vérité n’en avait pas d’autre.

On apprit un matin par les journaux de Paris que les frères alliés des loges de l’Amitié se disposaient à se rendre en Angleterre pour y célébrer une fête. Effectivement, à quelques jours de là, une bande de touristes français, qu’amenaient trois trains spéciaux, se présentèrent aux portes de Douvres. On avait fait de grands préparatifs pour les recevoir, des chambres leur avaient été retenues, les hôtels étaient combles. Deux heures plus tard entrèrent en rade deux vapeurs, et il ne vint à l’idée de personne qu’ils étaient chargés d’armes. Les touristes avaient choisi une « nuit libérale en pavots, » et Douvres dormait sur ses deux oreilles, quand sautant à bas du lit, ils se coulèrent furtivement vers la station du tunnel, où ils trouvèrent les fusils que venaient de débarquer les deux vapeurs. En un clin d’œil, le tunnel fut barricadé, fortifié par des ouvrages en terre. Cependant l’alerte fut donnée ; Douvres s’éveilla, s’effara. La police fit une reconnaissance, on envoya un détachement de soldats. Une fusillade bien nourrie ne tua personne. On fit venir de l’artillerie, ce fut peine perdue. On essaya de faire sauter le tunnel, les fils avaient été coupés. La garnison se réfugia dans les forts, où elle fut bientôt cernée.

Le gouverneur n’avait pourtant pas perdu la tête, il avait expédié à Londres un télégramme terrifiant. Le ministre de la guerre, qui était en soirée chez le ministre des affaires étrangères, lui communique la dépêche. Le ministre des affaires étrangères plante là ses invités, court chez l’ambassadeur de France pour lui demander des explications ; c’était le moment. L’ambassadeur de France était sorti ; on apprit plus tard qu’il était retourné à Paris par le dernier train du soir. Dans cette fatale conjoncture, on ne s’abandonna pas, on déploya une prodigieuse activité. En moins de vingt-quatre heures, 75,000 hommes furent sur pied ; on s’en servit pour couvrir la capitale. Mais le tunnel amenait sans cesse des renforts aux envahisseurs. 75,000 Anglais mal armés pouvaient-ils tenir contre 450,000 Français, auxquels s’adjoignit bientôt un corps d’armée amené par la flotte ? — « Il arriva ainsi que quelques jours après l’arrivée des touristes, l’honnête John Smith, marchand crémier dans une petite rue voisine du Strand, à Londres, eut le déplaisir de loger un sergent et quatre tourlourous, qui commirent