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apparition en sidérurgie. La science marche vite, les découvertes se talonnent pour ainsi dire, et beaucoup d’inventions très brillantes à première vue deviennent inutiles et sont oubliées avant d’avoir fait leurs preuves. Il en résulte d’incessantes fluctuations et des déplacemens plus ou moins durables des centres d’industrie. M. Jules Garnier, dans le chapitre qui termine son intéressant livre sur le Fer, rappelle l’évolution imprévue à laquelle donna lieu, il y a vingt ans, l’invention de M. Bessemer. L’Angleterre avait dû sa suprématie au bon marché de ses houilles et de ses minerais ; or on venait de reconnaître, après de longs tâtonnemens, que le procédé Bessemer ne pouvait s’accommoder des minerais anglais. Ce fut un coup terrible : il fallait, ou bien renoncer au bessemer et au grand marché des aciers, ou bien aller au loin chercher des minerais comme ceux que nous avons à nos portes. « Les Anglais n’hésitèrent pas longtemps : on les vit contracter des marchés à longs termes avec les riches mines de fer qui nous environnent, en Espagne, en Afrique, à l’île d’Elbe. Mais le résultat heureux reste acquis pour nous ; le minerai coûte encore plus cher aux Anglais qu’à nos usines du midi de la France. Pour venir se joindre aux charbons de nos riches bassins méridionaux, il n’a qu’à traverser la Méditerranée ; il arrive même jusqu’aux bassins houillers du centre, dont il alimente les productions de fers supérieurs… Qui peut prévoir pourtant, ajoute M. Garnier, combien cette situation, ce dernier équilibre durera ! Il suffit qu’un chimiste annonce qu’il sait chasser le phosphore des fers pour que l’échafaudage actuel s’écroule et qu’on ait à l’édifier de nouveau auprès de certains gîtes, si abondans et si bon marché, dont on s’éloigne aujourd’hui… » Il n’est nullement certain que le procédé de MM. Thomas et Gilchrist doive amener ce résultat ; il est difficile de savoir si l’excédent de frais qu’il entraîne ne compense pas en partie au moins, l’écart du prix des fontes qu’il permet d’utiliser. L’emploi de ce procédé donnerait l’avantage aux aciéries qui sont en voie de création dans l’est, malgré les frais de transport qui grèvent leur combustible. Nous voyons, d’autre part, depuis quelques années, des aciéries se fonder à proximité du littoral (à Beaucare, à Saint Nazaire, à Denain, à Bayonne), qui consomment des minerais supérieurs importés. Il semble donc, comme le fait remarquer M. Jordan, que la fabrication des aciers tend, chez nous, à se localiser dans deux régions rivales : le bassin ferrifère de Meurthe-et-Moselle, où les minerais du pays seront traités avec des combustibles amenés du Nord ou importés, et le littoral, où des minerais importés seront traités avec des combustibles français ou anglais.


B. RADAU.