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Ces jours derniers, dans un discours un peu emphatique prononcé à l’occasion d’un concours le gymnastique à Reims, M. le ministre de l’instruction publique ajournait ses auditeurs à dix ans pour savoir ce que les réformes nouvelles auront fait de la jeunesse française, et il triomphait d’avance. Ce qui en sera réellement, M. le ministre de l’instruction publique, avec toute son assurance, ne peut pas le dire. C’est dans tous les cas la plus hasardeuse, la plus redoutable des expériences, tentée avec plus de présomption que de maturité sur une génération qu’on entreprend de former sur un nouveau modèle. Certes, sans accepter les exagérations de ceux qui ne voient dans les dernières défaites de la France qu’une question d’instruction primaire, il est bien facile d’avouer qu’il n’y avait lieu de plus légitime que de vouloir réformer l’enseignement public. Répandre l’instruction populaire, multiplier les écoles, relever les études à tous les degrés, perfectionner les méthodes, c’était une pense généreuse, faite pour séduire les esprits sérieux et prévoyans. De plus, réserver dans cette œuvre de patience et de progrès la part d’autorité due à l’état, maintenir avec les précautions nécessaires certains droits de vigilance et de contrôle, c’était encore simple et naturel. Tout cela était possible, légitime, à une condition, c’est qu’on n’en fit pas une tyrannie, qu’on ne prétendit pas se servir de ces réformes, aussi bien que des forces de l’état, dans un intérêt de secte, contre certaines croyances, — que la politique, en un mot, ou, pour mieux dire, l’esprit de parti n’envahît pas tout. Malheureusement, on ne peut guère s’y méprendre, c’est la politique de parti qui a tout envahi, qui est restée le plus souvent l’unique et souveraine inspiratrice jusque dans le modeste domaine de l’éducation de l’enfance. Sous prétexte de séculariser l’enseignement, on organise la guerre aux croyances traditionnelles, aux influences religieuses. Sous le voile de la neutralité de l’état, on bannit le nom de Dieu des programmes du plus humble enseignement. Dans l’intérêt ou le prétendu intérêt des écoles de l’état, on met le zèle le plus ingénieux à rendre la vie difficile, presque impossible aux écoles libres. L’enseignement, on ne le cache pas, devient un instrument de propagande pour « les idées qui nous sont chères, » selon le langage du jour, et on dirait que, dans tout ce qui se fait depuis quelque temps, l’unique et invariable pensée est de cerner la liberté, de lui retrancher ses garanties l’une après l’autre, — jusqu’à cette dernière loi qui vient d’être discutée, qui n’est qu’une restriction de plus de la liberté de l’enseignement secondaire.

L’état ! l’état ! qu’on le respecte et qu’on le fasse respecter, qu’on lui laisse sa puissance légitime, rien de mieux assurément. Il est cependant étrange que ceux qui passent leur temps à le désorganiser, à le dépouiller de ses prérogatives les plus essentielles ne se souviennent de ses droits que lorsqu’ils peuvent s’en faire une arme contre la