Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par ce sentiment si fortement spiritualiste, Nodier a mérité réellement d’être cité comme le dernier des platonisans, et si l’on nous demandait quelle a été la dernière œuvre légitimement sortie de l’inspiration de Pétrarque, nous répondrions hardiment par cette nouvelle, Franciscus Columna, où tous les mobiles propres à l’amant de Laure ont été exprimés avec une ferveur et une tendresse qui font de cette œuvre, en même temps qu’une des plus parfaites de Nodier, une des peintures les plus correctement exquises de l’amour mystique que l’on ait jamais tracées.

Quelques-uns des contes de Nodier, la Combe de l’homme mort, la Neuvaine de la Chandeleur, la Légende de la sœur Béatrix, se rapportent à une autre source de fantastique, la superstition, qui se partageait avec la folie toutes ses prédilections. Nodier était sincèrement superstitieux, et il l’était doublement, par nature et par système. Il croyait fermement aux présages. Lors de la naissance de son premier enfant, il n’était pas dans la chambre de l’accouchée ; on l’envoie chercher, et on le trouve en face de la porte, un flambeau à la main et la mine atterrée. Il venait d’apercevoir un insecte du nom de blaps qui, paraît-il, présage la mort. « Vraiment, lui dit avec une gaieté sensée Mme Nodier, ton blaps ne nous apprend rien, mon bon Charles. De toutes les choses que présage la naissance, la mort est la plus certaine. » Le nombre treize lui causait un insurmontable effroi. Dans une note que sa fille nous a conservée, il s’est plu à consigner un souvenir qui, en effet, n’était guère propre à le réconcilier avec ce chiffre. Il avait fait en 1803 un dîner avec douze personnes qui toutes étaient mortes en moins de dix ans, et toutes de la manière la plus funeste, par le chagrin, par le champ de bataille, par la folie, par le naufrage, par le suicide, par l’échafaud. Je ne dis rien des songes ; Smarra, Lydie et la lettre que nous venons de citer disent assez ce qu’il en pensait et quel genre de service ils lui rendaient. De même que dans la Fée aux miettes il a tiré une poétique des phénomènes de la folie, il a fait en quelque sorte la philosophie de la superstition dans une très curieuse petite nouvelle intitulée : M. de la Mettrie. Le nom de l’auteur de l’Homme-machine ne semble guère fait pour éveiller des idées de superstition, mais il paraît bien qu’il était réellement affligé de cette faiblesse, et Nodier a été enchanté de pouvoir placer ses opinions en telle matière sous l’autorité de ce matérialiste avéré. Dans ce conte il démontre avec beaucoup d’esprit que les superstitions ont pour la plupart une origine extrêmement lointaine qui leur crée, comme à toute chose antique, un titre au respect et qu’elles ont en même temps un fondement moral qui justifie les craintes ou les répugnances qu’inspirent tel nombre, tel jour, telle circonstance.