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dans les cendres de Pompéi était un scandale, et qui murmura : Fuori straniero ! De tout ceci Alexandre Dumas ne se doutait guère, mais nous étions prévenus et sur nos gardes.

Parmi les popolani du quartier de Santa Luccia où se brassent à Naples toutes les émeutes, nous avions quelques amis qui n’étaient point avares de renseignemens, lorsque ces renseignemens pouvaient nous intéresser et étaient suffisamment payés. C’est par un de ces hommes que l’on apprit au palais de la Foresteria, où était notre quartier-général, qu’une manifestation se préparait contre Alexandre Dumas, dont on voulait exiger l’expulsion ; le jour et l’heure nous furent indiqués. Je reçus directement les instructions du général, et, au moment indiqué, je me rendis chez Dumas en compagnie de deux officiers supérieurs qui avaient été avertis. La garde de Castelnuovo, situé dans le voisinage du palazzino de Chiatamone, avait été confiée à une compagnie hongroise. C’était vers la fin du jour ; Dumas était encore à table entouré de quelques-uns de ces commensaux qui jamais ne manquèrent autour de lui. Il était en verve et riait à gorge déployée des histoires qu’il nous racontait. Une rumeur vint du dehors, lointaine, indécise, comme un bruit de flot sur des galets ; elle se rapprocha ; Dumas dressa l’oreille et dit : « . Il y a donc une manifestation ce soir, contre qui ? contre quoi ? Que veulent-ils encore, n’ont-ils pas, leur Italia una ? » Comme les clameurs commençaient à devenir distinctes : « Dehors Damas ! Dumas à la mer ! » les deux colonels et moi nous sortîmes et nous nous postâmes devant la porte même de Chiatamone ; au Castelnuovo, la compagnie hongroise était massée, dans la première cour. Les sentinelles avaient été doublées ; le capitaine, — qui est actuellement général de brigade, — se tenait les bras croisés et le dos appuyé contre la muraille. La manifestation s’avança précédée d’une grosse caisse, d’un chapeau chinois et d’Un drapeau aux couleurs d’Italie ; elle était composée d’environ trois cents braillards qui vociféraient à toute poitrine ; elle n’était guère redoutable, car il suffit de quelques paroles et de quelques gestes pour la disperser. La vue des fantassins qui prirent position dans la rue acheva de la mettre en déroute ; tout cela n’avait pas duré cinq minutes ; lorsque je ; rentrai dans le palais, je trouvai Alexandre Dumas assis, la tête entre les deux mains. Je lui frappai sur l’épaule ; il me regarda ; ses yeux étaient baignés de larmes ; il dit : « J’étais accoutumé à l’ingratitude de la France, je ne m’attendais pas à celle de l’Italie. » Ce mot fera sourire, il me toucha. Dumas avait le droit de s’attendre, non pas à la reconnaissance, mais du moins au bon vouloir du peuple napolitain ; il ne s’était pas ménagé pour lui ; il avait donné son temps, son argent, son activité, et ce n’était pas