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a des prétentions à la gaîté, on n’a la réputation d’un écrivain sérieux qu’à la condition de n’être pas trop spirituel et d’être parfois un peu frotté d’ennui. Ce ne fut pas le cas de Dumas, dont la bonne humeur a été intarissable. Les lecteurs les moins instruits lui ont reproché les invraisemblances historiques devant lesquelles il n’a pas reculé pour activer l’intérêt de ses romans. Je ne disconviens pas qu’il ait souvent péché contre la tradition ; certains écrivains, — certains historiens, — en ont fait bien d’autres. Mais lorsqu’il plaît à Alexandre Dumas d’être exact, il l’est plus que nul autre. Il est un fait de la révolution française qui m’inspirait une curiosité spéciale, c’est la fuite à Varennes. Cette étrange expédition entreprise pendant la nuit la plus courte de l’année, si mal conduite, si follement préparée, si misérablement avortée, presque en vue de la frontière, m’avait toujours semblé un incident mal connu et digne d’être étudié ; j’avais en outre une sorte d’intérêt personnel qui me poussait, car ce fut mon bisaïeul maternel auquel fut réservé le soin de préparer les fonds destinés à pourvoir au voyage. Mon enfance a été bercée de ce récit. Je crois pouvoir affirmer qu’aucun des documens publiés sur cet événement ne m’a échappé, pas même la lettre écrite à l’encre sympathique que Louis XVI et Marie-Antoinette envoyèrent par Champcenetz à Barthélémy alors ministre de France à Londres ; eh bien ! de tous les livres qui traitent de la fuite du roi, le seul exact est le Voyage à Varennes d’Alexandre Dumas ; la vérité y est scrupuleusement respectée ; il suit les fugitifs étape par étape, pas à pas, et donne une leçon d’histoire dont les historiens les moins légers peuvent profiter. Il a le tort d’y mêler des anecdotes parasites, d’y parler de son cabriolet de poste et des omelettes qu’il mange ; mais il est expansif et ne peut se soustraire à sa nature ; dans une forêt, le chêne tient plus de place que les fougères.

Lorsque l’on écrira l’histoire du romantisme, un rang très élevé sera réservé à celui que nous aimions à nommer le père Dumas et qui ne se choquait point de notre familiarité. Quand les œuvres issues du renouveau littéraire se seront tassées sous l’action du temps, il apparaîtra alors dans toute son ampleur ; on ne le confondra plus avec ses élèves, et lorsque l’on verra ce que le théâtre était avant lui, on sera étonné et dans l’admiration de la révolution dramatique dont il a été le chef avant et au-dessus de tout autre. Henri III et sa Cour est une borne milliaire qui marque l’entrée d’une route dont il a été le premier pionnier ; ne serait-ce qu’à ce titre, il est un artiste exceptionnel, un créateur. Son œuvre est immense, c’est presque une bibliothèque. J’ai dit qu’aucun mot méchant ne s’y rencontrait, j’ajouterai, ni un mot grossier, ni même un mot