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Mais outre les poissons qu’il ne faut pas troubler, il y a là un tiers malencontreux, un berger vêtu d’une peau de brebis qui s’est arrêté et paraît prendre un intérêt naïf au résultat de la pêche. Cette idylle urbaine est charmante. M. Hector Leroux a mis des couleurs sur sa palette qui est d’ordinaire un peu blanche. Le tableau est peint dans les tonalités fluides et fraîches de l’aquarelle ; la glace qui recouvre le cadre ajoute à l’illusion. L’Hiver de M. Jean Autert, personnifié par une jeune femme et un Amour qui se chauffent les mains à un brasero dans un paysage neigeux, a la grâce poétique de certaines petites figures de Pompéi. Le talent ne manque pas à M. Daux, mais le sens commun. N’a-t-il pas imaginé de transporter le Jugement de Paris au Japon, dans une prairie semée de coquelicots ! Paris est un nain grotesque vêtu d’une chemise rayée et d’un pantalon de soie bleue. Les trois demoiselles, car on ne saurait appeler ces femmes des déesses, découvrent des charmes lourds et des carnations bistrées que l’on doit apprécier dans les maisons de thé de Yokohama. Et M. Daux s’imagine avoir renouvelé le sujet par ce ridicule travestissement !

Les costumes moyen âge, fort démodés en France, — l’on n’en veut même plus pour les bals masqués, — séduisent encore les peintres étrangers par leurs riches couleurs et leur aspect pittoresque. M. Charlemont montre des pages jouant et causant dans la Salle des gardes, et M. de Vrient décrit avec son pinceau la cérémonie de l’Armement d’un chevalier de la Toison d’or. Ce sont deux tableaux pleins de couleur et de caractère, mais dont les figures dénuées de tout relief se plaquent contre les fonds comme de plates silhouettes. M. Charlemont donne à ses personnages les tons harmonieusement éteints des vieilles tapisseries des Flandres, et M. de Vrient peint les siens dans les colorations brillantes et translucides des émaux. Ces coloris systématiques pèchent contre la vérité, mais ils sont fort agréables aux yeux. Il se peut, au contraire, que les rouges et les bleus crus des Cosaques dans la neige de M. Chelmonski soient très véridiques ; mais quels tons discords et offensans ! Ce n’est plus de la peinture, c’est de l’enluminure. On dirait ces cavaliers fabriqués à Nuremberg.

La tribu des orientalistes est représentée par MM. Benjamin Constant, Guillaumet, Lecomte du Nouy, Albert Aublet. M. Benjamin Constant nous fait pénétrer dans l’intérieur de l’Alhambra le lendemain d’une victoire des Mores sur les Castillans. Une salle décorée avec tout le luxe de l’architecture arabe, revêtemens de faïences et de carreaux vernissés, voûtes à stalactites et à imbrifications, dentelles en relief d’entrelacs, de rinceaux, de rosaces et de caractères coufiques s’ouvre sur la cour des Lions, dont on aperçoit le bassin de marbre et les bosquets verdissans. Sous l’arc de la porte en fer