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perspective aérienne nulle, au Service divin au bord de la mer, de M. Édelfelt, aux Premières Communiantes de M. Salmson, dont les robes blanches sont peut-être très vraies, mais singulièrement blessantes pour l’œil, au Dîner de noces de M. Herbo, digne de servir de frontispice à l’Assommoir, à l’Échoppe de savetier, de M. Liebermann, — tableau qui a d’ailleurs le rare mérite de montrer des figures éclairées à revers, avec des reflets lumineux sur les contours, et conservant cependant l’opacité et le relief des corps. — L’autre jour, à l’Académie française, M. Renan, dans sa réponse au discours de M. Cherbuliez, dénonçait « cette imitation servile de la réalité (imitation bien inutile, puisque celui qui aime tant la réalité n’a qu’à la regarder). » Il s’indignait contre « ces interminables histoires bourgeoises, prétendues images d’un monde qui, s’il est tel qu’on le dit, ne vaut pas la peine d’être représenté. » C’était le cri de révolte du bon sens. Ces paroles, qui condamnent avec tant d’autorité le naturalisme en littérature, ont plus de force encore si on les applique à l’art naturaliste, aux petits peintres de la vulgarité, même quand ces peintres auraient le talent de Teniers, dont Louis XIV ne voulait pas voir les « magots. »

La Robe de noce de la grand’mère, tel est le titre d’une charmante scène d’intérieur de M. Franz Verhas, un Belge qui peint comme un Flamand et qui dessine comme un Italien. Deux jeunes filles ont découvert une robe de mariage qui date de 1820, et l’une d’elles l’essaie en riant devant sa psyché. La jupe est un peu courte pour la mode d’aujourd’hui, mais le corsage, qui décolleté hardiment la poitrine et laisse voir les bras nus sied admirablement à la belle enfant. Cette scène a pour décor une chambre très richement meublée : peau d’ours blanc tranchant sur un tapis de l’Inde, paravent de cuir de Cordoue, vases cloisonnés du Japon, fauteuils Louis XV de bois sculpté, gravures rares du XVIIIe siècle appendues à la muraille. Ces divers objets sont reproduits dans leurs plus petits détails avec un fini surprenant et sans nulle sécheresse. Les chairs, caressées par un pinceau très chargé en pâte, ont beaucoup d’éclat. Sous prétexte de Musique en famille, M. Édouard Bertier a peint son atelier, qui en valait la peine, et ses enfans, qui sont fort agréables à voir. Nous signalerons encore un joli tableau de M. Jan Van Beers, un yole volant sur l’eau. Une jeune femme, qui paraît de vertu peu farouche, tient la barre tandis que le canotier vêtu d’un pantalon de laine blanche et d’un tricot sans manches, rame à tour de bras. On doit louer le fin coloris de l’ensemble et la remarquable facture des bras nus du rameur. Un critique a écrit que ce tableau manque d’émotion. Vraiment cette préoccupation du sentiment devient comique. Faut-il donc frémir comme la pythonisse sur le trépied pour. peindre un canotier d’Asnières et une nymphe de Bougival ? M. Jean Béraud nous montre