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profonde ; mais, tant qu’on n’y aura pas réussi, rien n’est plus imprudent que d’écarter ces enseignemens au nom de je ne sais quelles exigences de l’esprit moderne ou d’une prétendue neutralité philosophique. De sages et nobles âmes ont su, à notre époque comme dans les siècles passés, se faire d’autres principes de conduite et y trouver ou se figurer qu’elles y trouvaient une règle assurée : ce ne sont encore que des opinions individuelles et isolées ; malgré le progrès des doctrines contraires, le spiritualisme est toujours la seule force morale qui puisse suppléer aux religions là où elles ont perdu leur empire et leur faire accepter son concours dans les âmes qui leur restent soumises. Il est en même temps le meilleur principe de tolérance. M. Bréal observe finement qu’il sort des gymnases allemands un assez grand nombre d’élèves imbus d’idées irréligieuses, mais non moins imbus de l’esprit d’intolérance qu’ils ont puisé dans leur « éducation semi-dévote. » Le même fait a pu être observé en France dans les recrues que l’enseignement ecclésiastique a fournies plus d’une fois au radicalisme politique ou religieux. Cet esprit d’intolérance ne sera jamais plus sûrement combattu que par une éducation morale qui met en lumière ce qu’il y a de commun dans toutes les religions et ce qui peut encore servir de lien entre les croyans des différentes religions et ceux qui n’en professent aucune.

On se fait une très fausse idée de la neutralité que doivent s’imposer l’état et ses représentans dans l’enseignement public, quand on prétend y attacher l’obligation de rester neutre, non-seulement entre les dogmes religieux, mais entre des opinions philosophiques telles que le spiritualisme et le matérialisme. Il suffit de pousser cette prétention jusqu’à ses conséquences extrêmes pour en démontrer l’absurdité. Elle rendrait impossible tout enseignement public, car si les professeurs de l’état ne peuvent se prononcer sur les questions philosophiques, pourquoi auraient-ils davantage le droit de se prononcer sur les questions d’art, de littérature ou de sciences ? Les controverses ne sont pas moins ardentes dans les divers domaines de l’enseignement qu’en philosophie et partout on peut craindre de blesser quelque opinion plus ou moins digne d’égards. La vérité est que les opinions de toutes sortes, en philosophie comme dans tout le reste, sont faites pour la discussion et pour la contradiction et qu’elles doivent s’y prêter dans les écoles de l’état aussi bien que dans les écoles libres ou dans les livres. Il en est autrement des dogmes et de tout ce qui a le caractère d’article de foi dans une religion positive. Ici les consciences réclament un respect dont les représentans de l’état n’ont pas le droit de s’affranchir. Il ne faut pas d’ailleurs exagérer ce respect. Il ne saurait s’étendre à toutes les fantaisies individuelles ou collectives qui peuvent se décorer du nom