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et de gloire ; elle les fait battre aussi aux souvenirs de revers et de honte : le patriotisme ne se manifeste pas moins lorsqu’il s’afflige ou s’indigne aux révélations de l’histoire que lorsqu’il y trouve des sujets de joie ou d’orgueil.

M. Bréal remarque enfin d’ans l’éducation nationale que tendent à donner les gymnases allemands une sorte de mysticisme politique où il croit reconnaître les théories représentées chez nous par De Bonald et De Maistre, mais qui se rattache bien plutôt aux doctrines hégéliennes. C’est une exaltation du rôle de l’état et particulièrement des destinées de l’empire germanique. L’état ne procède pas des individus ; sans l’état, au contraire, les individus ne seraient rien, et quand il incarne en lui une race supérieure, rien ne doit l’arrêter, au dedans et au dehors, dans sa mission de civilisation et de conquête. Ces enseignemens hautains d’une philosophie si peu libérale n’ont rien encore qui se recommande à notre imitation. Il ne faut pas se dissimuler toutefois qu’ils répondent, sous une forme dogmatique, à des idées très répandues chez tous les peuples qui n’ont pas de longues traditions de liberté politique. Ils peuvent être, dans les temps calmes, un principe de soumission ; ils sont aussi aisément, dans les temps troublés, un principe de révolution. Quand on attend tout de l’état, on est facilement tenté de lui imposer par un acte de violence la réalisation de toutes les espérances que l’on a fondées. sur son action omnipotente. Les mêmes idées, quand elles inspirent la politique extérieure, peuvent faire les grands états et les grands peuples : elles ont été plus souvent une cause de ruine ou de prompte décadence. Il est intéressant et instructif de les constater là où elles dominent ; il est toujours sage de s’en défier chez les autres et pour soi-même. L’éducation publique a tout à gagner au développement de tendances contraires. La paix intérieure n’est jamais mieux assurée que lorsque chacun compte moins sur l’état et davantage sur soi-même ; la sécurité de l’état et son influence au dehors trouvent également de meilleures garanties dans le concours, capricieux peut-être et toujours disputé, d’une nation qui se sent maîtresse d’elle-même que dans l’omnipotence aveuglément acceptée d’un gouvernement qui s’attribue et se laisse attribuer une mission providentielle.


EMILE BEAUSSIRE.