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de lois qui ait jamais peut-être été fait. On sait qu’à la suite de la conquête romaine, la Palestine resta quelque temps le siège principal des études religieuses du judaïsme ; les rabbins s’établirent dans plusieurs villes de la Galilée, notamment à Séphoris et à Tibériade. C’est de l’académie de Tibériade, formée vers 180, que sortit le célèbre rabbi Juda, surnommé le Saint, qui recueillit les codes partiels et les lois traditionnelles des écoles pharisiennes et en forma, dans le premier quart du in6 siècle, la vaste compilation connue sous le nom de la mischna (répétition ou seconde loi). Autour de cette première composition vinrent successivement se grouper une multitude de commentaires, d’annotations, de discussions qui en augmentèrent à la fois le volume et l’ennui ; ces nouveaux recueils, beaucoup plus considérables que la mischna elle-même, qui leur sert de texte, reçurent le nom de guemara (complément). La réunion de la mischna et de la guemara forma le talmud (doctrine), œuvre indigeste, stérile, qui a fait perdre à la race juive toute initiative morale et qui est restée absolument étrangère au reste de l’humanité.

Personne n’ignore qu’il y a deux talmuds, le talmud de Jérusalem, émané dans la seconde moitié du IVe siècle des écoles de Palestine et dont la source première était à Tibériade, et le talmud de Babylone, rédigé au Ve siècle par Asché, célèbre docteur de l’académie de Sora, et par son disciple Rabbina, et terminé l’an 500 par rabbi José. La guemara de Babylone, plus complète et plus claire que celle de Jérusalem, est celle dont l’autorité a prévalu parmi les juifs. Mais ni l’une ni l’autre n’ont dépassé le cercle étroit d’une race. A partir de l’évangile, Israël a cessé d’écrire pour le monde ; il n’a plus écrit que pour lui-même. Le caractère de perfection absolue qui a fait des psaumes l’exemplaire immortel de la poésie religieuse, le goût, la mesure, le charme qui ont permis à la Bible entière, produit d’un esprit si différent du nôtre, d’échapper au sort commun des littératures orientales que les savans seuls en Occident peuvent apprécier, et de devenir, au contraire, le livre par excellence, la lecture universelle ; l’ensemble de qualités exquises qui se sont développées peu à peu dans les discours des prophètes et qui ont atteint dans ceux de Jésus leur épanouissement complet, tout cela a disparu du talmud pour ne laisser place qu’aux arguties mesquines, qu’à la casuistique vaine et étouffante sous lesquelles paraissent devoir périr toutes les œuvres sémitiques. On se rend aisément compte à Tibériade de la décadence intellectuelle des juifs. Une incontestable décadence physique y correspond. Si la vue du lac, si l’aspect d’un paysage enchanteur y expliquent l’évangile, en revanche, la population juive qu’on y rencontre fait comprendre