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aussi parfois d’offrir à ceux qui prennent la peine de l’étudier une parfaite clarté. Par exemple, en ce moment, on ne saurait contester que la grande majorité des Français est pour la république. Le pays a donné dans ces dernières années des preuves répétées de son goût pour cette forme de gouvernement. Que ce goût soit plus apparent que profond, qu’il tienne aux circonstances, qu’il soit fait chez beaucoup de lassitude plus que d’inclination, c’est fort possible, mais il n’en existe pas moins. La masse de la nation est devenue républicaine, comme elle était impérialiste sous l’empire et constitutionnelle sous la monarchie de juillet. Le régime actuel a même sur les précédens, — on voit que nous lui faisons la part large, — cette grande supériorité qu’aucun de ses adversaires ne soit présentement en état de recueillir sa succession. Sous l’empire, l’héritier présomptif, en cas de révolution, était connu d’avance : il avait son organisation, ses cadres, son personnel, un état-major important et une armée parfaitement disciplinée qui n’attendait qu’un signe pour marcher et qu’aucun scrupule, — on l’a bien vu, — ne retenait. L’héritier présomptif, aujourd’hui, quel est-il et où est-il ? Où est celui que la voix publique désigne, et que chacun, dans les profondeurs intimes de son moi, tient en réserve ? Comment s’appelle cette espérance ? Elle n’a plus, hélas ! de nom que pour quelques rares et imperturbables fidélités, dont c’est l’honneur de vivre et de mourir où elles sont attachées. A part cette toute petite élite, il n’y a pour ainsi dire plus de partis en France : celui-ci s’est lié les mains pour longtemps en faisant acte de repentir et de fidélité ; celui-là s’est enseveli tout vivant dans son drapeau ; le troisième, poursuivi par une succession de fatalités sans exemple, s’est enfermé dans son deuil. De quelque côté qu’on se tourne enfin, l’œil n’aperçoit que des ruines.

Qu’on ne s’y trompe pas cependant. De ce que les partis n’ont jamais été plus impuissans, il ne s’ensuit pas nécessairement, ni que le régime actuel possède une plus grande force, ni qu’il, soit assuré d’une plus longue durée que ceux qui l’ont précédé. Ce n’est pas tout d’avoir le nombre, encore faut-il le garder. Le nombre se donne vite, en France, à qui sait le prendre ou lui plaire, mais il se retire plus vite encore. Il y a même infiniment plus de manières de le perdre qu’il n’en est de le retenir. Vienne une guerre malheureuse, une crise sociale et financière, un simple accident, comme en 1848, et le voilà soudain qui se retourne. Aucun gouvernement, quels que soient sa force et son crédit apparens, n’est à l’abri de ces vicissitudes ; aucun n’échappe, un peu plus tôt un peu plus tard, aux complications qui, d’un événement ou d’une question en apparence sans gravité, font parfois sortir une crise mortelle. La monarchie de juillet a eu la réforme électorale, l’empire a eu le