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n’est point de méthode qui permette d’en grouper l’infinie diversité. Nous ne pouvons suivre M. Dufaure allant de juridiction en juridiction plaider des causes civiles dont la renommée éphémère ne franchissait que pendant quelques jours les limites du palais. Pour avoir fait grand bruit en leur temps, le procès Michel Lejeune, la nullité du testament Girardin, la succession Pescatore, ne sont demeurés que dans peu de mémoires ; mais le talent déployé par le jurisconsulte, l’éloquence de l’orateur, furent universellement reconnus et mirent sa réputation au-dessus de tout éloge.


II

Pendant les six années qui avaient suivi le coup d’état, M. Dufaure s’était confiné dans la défense des intérêts civils, s’efforçant d’oublier comment la France abdiquait entre les mains d’un seul. Un labeur acharné, sans apaiser sa douleur, le préservait des déceptions sans cesse renouvelées de ceux qui annonçaient chaque jour le réveil et qui essayaient par leurs écrits de secouer la léthargie des esprits. Parmi ses plus ardens amis, il n’en était pas de plus impatient que M. de Montalembert ; demeuré jeune de cœur, il brûlait de monter à l’assaut d’une constitution à laquelle il en voulait d’autant plus qu’il avait été un instant sa dupe et qu’il avait à cœur de prendre contre elle une revanche qui satisfît son honneur autant que ses convictions. Un Débat sur l’Inde au parlement anglais produisit, en octobre 1858, un effet que, de loin et au milieu du bruit d’une presse libre, nul ne peut aujourd’hui se figurer. C’était le cri d’une conscience étouffée revendiquant au milieu du silence universel « le droit de rester fidèle au passé, aux sollicitudes de l’esprit, aux aspirations de la liberté. » L’éclat et le retentissement de cette protestation prouvèrent que le sommeil des esprits n’était pas si profond. Le gouvernement se sentit frappé. M. de Montalembert fut traduit devant la 6e chambre, et M. Dufaure fut appelé, avec M. Berryer, à servir de témoin et de champion, plus encore que de défenseur, à son ancien collègue.

Ce n’était pas en effet pour l’écrivain qu’ils plaidaient l’un et l’autre, c’était pour l’homme politique, qui avait senti depuis sept ans « l’amertume des regrets, qui avait, lui aussi, pris part aux luttes de la tribune, qui avait connu les magnificences de la liberté. » M. Berryer et M. Dufaure se précipitèrent dans le débat avec l’ardeur d’athlètes irrités d’un long repos. Leur client avait dit que, lorsqu’il « étouffait sous le poids d’une atmosphère chargée de miasmes serviles et corrupteurs, il courait respirer un air plus pur et prendre un bain de vie dans la libre Angleterre ; » il semblait