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incrustations des parois, au contraire, qui n’exigent pas la même force de résistance, ils se servaient de pâtes vitrifiées, de smalti (émaux), comme disent les Italiens, plus tendres et moins coûteux. Mais, comme si la difficulté vaincue avait été à leurs yeux la première condition du succès, les Romains de l’empire ne demandaient à cette seconde forme de la mosaïque que de reproduire des motifs d’ornementation, traités largement, dans une donnée essentiellement décorative. Le christianisme renversa l’ordre des facteurs : les parties verticales de l’édifice, — frise de la nef, arc triomphal, coupole, abside, — lui paraissent seules dignes de recevoir la peinture principale, ces figures de saints, ces scènes d’apothéose, auxquelles l’emploi de couleurs artificielles permettra de donner un si grand éclat ; il croirait au contraire commettre une profanation en traçant sur le sol des images religieuses, exposées à être foulées aux pieds. L’indifférence de l’autorité religieuse pour ces pavemens, dans lesquels la peinture païenne avait célébré ses plus beaux triomphes, devint si grande que l’initiative privée dut souvent en faire tous les frais. De nombreuses inscriptions nous montrent les fidèles se cotisant pour faire exécuter l’un dix, l’autre vingt, un troisième cinquante ou même cent palmes carrés de pavement (cathédrales d’Aquilée, de Grado, de Vérone), ou bien encore telle ou telle figure déterminée, qui un paon, qui un griffon (cathédrale de Pesaro). L’intervention de l’élément laïque eut un résultat inattendu ; la foule se plut à fixer sur ce sol qu’on lui abandonnait les traditions de plus en plus vagues d’un culte et d’une civilisation désormais proscrits. Lorsque l’on interroge ces humbles productions, dont l’archéologie commence à peine à soupçonner l’existence, on y découvre la trace de luttes latentes entre la rigueur, de jour en jour croissante, de l’église et les aspirations ou les réminiscences populaires. Pendant plus de mille ans, les représentations profanes, et parmi elles un certain nombre de formules du polythéisme, se développent librement dans les incrustations du sol, tandis que l’orthodoxie la plus sévère préside à la décoration des murs. Ici, dans la cathédrale d’Aoste, les figures des Mois sont groupées autour de celle de l’Année, qui tient d’une main le soleil, de l’autre la lune ; ailleurs, à Pavie, l’Année est assise sur un trône, la couronne en tête, le sceptre dans une main, le globe dans l’autre. A Reggio, les personnifications des Saisons ont pris place à côté des signes du zodiaque ; à Hildesheim, nous voyons celles des Quatre Élémens ; dans la précieuse mosaïque de Sour, rapportée par M. Renan, celles des Quatre Vents. Des scènes tirées de la mythologie complètent ce cycle curieux, où les forces de la nature sont personnifiées, sillon divinisées. Le combat de Thésée et du Minotaure forme le sujet principal des pavemens de Plaisance, de Pavie, de