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par les papes Gélase et Symmaque, tout semblait justifier cette ingénieuse interprétation. La disposition même des deux scènes venait à l’appui de cette manière de voir : au-dessus de l’entrée, l’artiste avait peint le Bon Pasteur, c’est-à-dire le Christ exerçant son ministère de paix ; au fond, en regard du précédent tableau, le Christ militant, saisi d’une sainte indignation à la vue des progrès de l’hérésie. Aujourd’hui, grâce aux argumens produits par M. de Rossi, nous savons que la seconde composition représente en réalité saint Laurent marchant au supplice, non en martyr, il est vrai, mais en triomphateur. L’énergie qui éclate dans ses traits, la vivacité de son allure, l’éloquence de son geste, proclament la transformation qui s’est opérée dans les sentimens des fidèles : la résignation des premiers siècles a fait place à l’enthousiasme, à l’orgueil fondé sur de récens triomphes. Le saint n’aperçoit même pas le bûcher qui doit le dévorer : dédaignant les menaces d’un bourreau impuissant, il s’avance plein d’ardeur et d’assurance vers l’arche sainte, où il voit briller les livres sacrés destinés à confondre les ennemis de la foi.

Au VIe siècle, sous Théodoric et sous Justinien, le triomphe de Ravenne sur Rome est complet : celle-ci n’a plus qu’une seule composition, la mosaïque des Saints Cosme et Damien, empreinte d’une sorte de grandeur farouche, à opposer aux scènes de la vie du Christ, d’un style si simple et si noble, incrustées sur les murs de Saint-Apollinaire Nouveau, à l’éblouissante décoration de Saint-Vital. Mais cette supériorité dura peu ; une commune barbarie envahit la péninsule entière ; les efforts de Charlemagne, qui réussit à provoquer de ce côté-ci des Alpes une véritable renaissance, sent impuissans à ranimer l’art italien ; nul doute que les dernières traces d’élégance, — une élégance relative, — que l’on découvre dans deux des mosaïques romaines exécutées sous son règne, la chapelle de Saint-Zénon à Saint-Praxède, et Santa-Maria della Navicella, ne soient dues à des artistes venus de Byzance.

C’est encore de l’école byzantine que l’Italie, deux siècles plus tard, au temps des luttes entre la papauté et l’empire, attend son salut, et c’est encore dans la mosaïque que s’affirment les premières tentatives de réforme. En 1070, — cette date mérite d’être retenue, — l’abbé du Mont-Cassin, Didier, fait venir de Constantinople des mosaïstes auxquels il confie la décoration de son couvent ; son exemple ne tarde pas à être suivi, au midi par les Normands, au nord par les Vénitiens ; bientôt la mosaïque a reconquis son antique popularité. La basilique de Saint-Marc, à Venise, celles de Murano et de Torcello, le baptistère de Florence, les basiliques de Saint-Clément, de Sainte-Françoise-Romaine, de Sainte-Marie du Transtevère,