Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’équilibre des différentes parties de l’œuvre et d’y introduire quelque disproportion. Ce principe de symétrie, dès lors si soigneusement observé, devait se maintenir dans l’art byzantin. L’esprit des artistes en fut si pénétré, qu’ils l’appliquèrent sans cesse et jusque dans les moindres ouvrages : ce fut par là que cet art, tout en perdant du côté de la vie et de la liberté, gagna de se prêter mieux que d’autres à la décoration des grands édifices religieux. Aujourd’hui encore, dans l’état de décadence où est tombée la peinture chrétienne d’Orient, ces qualités sont sensibles, et des œuvres médiocres, d’une exécution grossière, ont malgré tout un certain air de grandeur.


IV

Grâce au besoin de solennité, de grandeur, de régularité, grâce aussi à l’esprit d’abstraction propres à la première parue du moyen âge, la mosaïque a pu briller du plus vif éclat dans un moment où tous les autres arts étaient dans l’abaissement le plus profond. Mais du jour où de nouveaux horizons s’ouvrirent à l’imagination des artistes, où la nature, si longtemps ignorée, reparut à leurs yeux éblouis, où l’étude des passions reprit sa place dans le domaine de l’art, il fallait ou qu’elle se transformât, ou qu’elle abdiquât. Revenir aux traditions de l’antiquité eut été le plus sage ; le sacrifice parut excessif ; il en coûtait trop de renoncer à ces associations de tons éclatans, quoique parfois vides, dans lesquelles l’art chrétien avait célébré tant de triomphes. On est en droit de dire que la mosaïque ne survécut pas à l’avènement du style gothique : les compositions qui ornent l’abside de deux des plus vénérables sanctuaires de la ville éternelle, Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Marie-Majeure, sont comme la dernière lueur d’un art qui va disparaître. Les incrustations, de plus en plus rares, qui, dans la suite, prennent naissance à Naples, à Rome, à Orvieto, à Sienne, à Pise, à Venise, paraissent des anachronismes ; elles n’ont plus rien à faire avec les nouvelles préoccupations de d’Italie.

La renaissance, avec son exquise entente des lois de la décoration, semblait appelée à régénérer un art qui se recommandait à elle par les souvenirs de l’antiquité plus encore que par ceux du moyen âge. Elle lui témoigna en effet un réel intérêt : Laurent le Magnifique, ce grand initiateur, ne négligea rien pour le remettre en honneur ; Raphaël et le Titien lui fournirent des cartons. Mais, pour aboutir, ces évolutions ont besoin d’être longuement préparées : les artistes florentins employés par le Magnifique connaissaient mal la technique des incrustations ; ceux de Venise, chargés