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c’était un peuple chevaleresque qui, faisant bon marché de son bonheur, de ses intérêts matériels, consacrât toutes ses forces à secourir les faibles, à faire régner la justice dans l’univers, et il conviait l’Allemagne à ce beau rôle. C’était bien connaître son monde et bien prendre son temps.

Cet homme à la barbe blonde, à l’œil gris bleu, était aussi sincère et aussi excessif dans ses haines que dans ses tendresses, et il faut convenir qu’il haïssait beaucoup de choses, multa et multum. Il détestait par-dessus tout celui qu’il appelait le grand nécromancien. Le Vatican était pour lui « une tanière de renards et de crocodiles, un bourbier pestilentiel, un cloaque d’infamies. » Il considérait les prêtres, les affreux hommes noirs, comme de vils imposteurs, comme les disciples du mensonge, comme la peste de la famille humaine, et il prétendait que, s’il y avait des bossus en Italie, cela tenait à Panus des génuflexions dans les confessionnaux. Il détestait également les armées permanentes, les généraux qui avaient conquis leurs épaulettes par des moyens réguliers ; il les traitait de mercenaires, et il est certain que ses dernières rencontres avec eux n’avaient pas dû lui laisser d’agréables souvenirs. Il avait en horreur tous les tyrans et tous les tyranneaux, parmi lesquels il comprenait les officiers du fisc et les douaniers. Il affirmait que les élections se font toujours au gré de l’inspecteur de la douane, que les douaniers sont pour quelque chose dans les trois quarts des malheurs qui nous arrivent, que toutes les fois qu’une femme se brouille avec son mari, c’est à cause d’un douanier, que lorsqu’une jeune fille se voit obligée de se marier à l’âge de dix-sept ans pour sauver son honneur compromis, il y a sûrement un douanier dans cette affaire. Cherchez bien, vous le trouverez.

Mais s’il détestait les grands et les petits tyrans, il n’avait pas plus de goût pour certain genre de républicains, pour les démocrates doctrinaires, pour Mazzini et ses acolytes, « pour les insolens qui disent : Nous seuls sommes des purs, nous qui voulons la république, même quand elle est impossible. » Il méprisait « ceux qui parlent et écrivent beaucoup, mais qui envoient les autres se battre, ne bougent pas et regardent de loin, et qui se croient seuls capables de constituer un pays. » En vérité, il avait une façon toute particulière d’entendre la république. Il aurait voulu supprimer toutes les lois écrites, qui lui semblaient les unes inutiles, les autres dangereuses, et faire flamber tous les codes dans un grand feu de joie. Il ne croyait pas que le droit de réunion, la liberté de la presse et l’instruction primaire fussent d’un grand secours pour régénérer une nation, ni qu’un peuple qui sait lire vaille beaucoup mieux qu’un autre. Il ne croyait pas non plus que les assemblées fussent bien utiles à l’humanité et « qu’on pût avoir confiance en cinq cents individus, presque tous à vendre, sortis tant bien