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interrompt Ferdinand. Nous ferons comme lui : peu nous importe si le détail historique est exact ; l’intention de le marquer suffit ; au moins, ce n’est qu’elle que nous cherchons : or cette intention, personne n’en peut douter. L’auteur est à ce point préoccupé de l’histoire que ses personnages savent comme lui ce qui s’est passé depuis leur mort. Le roi, dit le bouffon Gucho, le roi Ferdinand est « obscène,

: Athée et catholique :
: Et tant pis, il aura plus tard ce sobriquet ! »


Rien, dans le décor, n’est laissé au choix du peintre, du metteur en scène ou du tapissier. Au premier acte, nous sommes « dans le patio royal, dit Condes-reyes, au palais-cloître de la Llana, à Burgos ; » il faut que le trône où s’assied le roi soit a une chaise de fer, blasonnée et couronnée d’un pinacle que surmonte une épée, la pointe en l’air. » Au troisième, nous sommes à Séville « dans l’ancien palais maure, » lequel « avait vue sur la Tablada où était le Quemadero ; » il ne suffit pas que sur la table il y ait « tout ce qu’il faut pour écrire, » comme dirait M. Scribe : il faut que les plumes fichées « dans les trous de l’encrier » soient « dorées et peintes. » Pour les costumes, contentons-nous de noter qu’un scoliaste pourrait écrire tout un chapitre rien que sur les chapeaux. Au premier acte, don Sanche a sur la tête « le chapeau de comte, surmonté de l’aigrette Alumbrado (éclair), mélange de plume et de pierreries. » Au deuxième, le pape Alexandre VI, en habit de chasse, est « coiffé d’un haut bonnet d’or à trois cercles de perles. » Au troisième, le roi, « en grand habit d’Alcantara, » — il avait paru dans le prologue avec le petit habit, — porte le « chapeau de velours vert, sans plume, cerclé de la couronne royale. » Il va sans dire que le fou porte « un chapeau de sonnettes. » Comment soupçonner de n’exister pas des personnages ainsi coiffés ? Le chapeau prouve l’homme : je suis coiffé, donc je suis. Et cependant nous percevons que ces figures sont vides de réalité. A voir, dans cette singulière scène du troisième acte,

: L’idole Ferdinand et l’idole Isabelle,


assises sur leurs trônes jumeaux, tantôt silencieuses, « l’œil vague et fixe, » tantôt échangeant, de leurs lèvres qui remuent à peine quelques brèves paroles mollement répétées ; à voir à quelle inanité de « larves » le poète a réduit en effet ce roi politique et cette reine guerrière ; à voir ces fantômes, ces « idoles, » — l’auteur a bien dit, — ces abstractions parées de ses mains pour les cérémonies de son symbolisme, on éprouve une étrange impression de malaise, un profond sentiment de pitié pour ces créatures d’une littérature finissante, et l’on trouve du même coup le caractère de cet art, qui est le byzantin. On se