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La guerre de 1859, en ébranlant tous les trônes de la péninsule, avait eu pour contre-coup l’invasion des légations. Le pouvoir temporel, que nous sauvegardions à Rome, était menacé par nos alliés et l’empire commençait à pratiquer cette politique équivoque qui devait nous compromettre aussi bien avec nos amis que vis-à-vis de nos adversaires. Aux protestations de la papauté répondaient les protestations des évêques ; nul n’était plus ardent, plus souvent sur la brèche, plus prêt à la riposte que l’évêque d’Orléans. Ce que M. Thiers soutenait avec la verve de l’homme d’état qui ne cherchait et ne voyait que l’influence de la France en Europe, ce que M. Guizot professait avec la profondeur du philosophe politique, Mgr Dupanloup le proclamait avec une fougueuse éloquence de polémiste. Au cours de la lutte, une des feuilles gouvernementales crut avoir trouvé un moyen de réduire son adversaire au silence en publiant « une lettre pastorale de Mgr l’évêque d’Orléans au supérieur et au directeur de son petit séminaire, » dans laquelle l’inutilité du pouvoir temporel était démontrée. Le journaliste comptait sur l’équivoque due à la suppression des dates. Il s’agissait d’un écrit d’un prédécesseur de Mgr Dupanloup, Mgr Rousseau, qui l’avait publié au plus fort de la lutte entre le pape et l’empereur en 1810. Mis en contradiction avec l’un des prélats qui avaient occupé le siège d’Orléans, Mgr Dupanloup répondit sur-le-champ. On invoquait un témoignage sacré, il montra ce qu’était le témoin et sur des pièces irréfutables traça le portrait d’un de ces évêques tels qu’en tout temps le pouvoir absolu s’est efforcé de les faire. Le coup était rude et n’atteignait pas seulement l’imprudent journaliste qui avait si maladroitement puisé dans les archives du ministère des cultes. Le gouvernement voulut avoir le dernier mot, et, sur une plainte plus ou moins spontanée des héritiers de Mgr Rousseau, l’évêque d’Orléans fut traduit en police correctionnelle pour diffamation.

C’était la première chambre de la cour de Paris qui était compétente. Le journal le Siècle, de son côté, se prétendait diffamé, et les deux causes vinrent à la même audience. M. Berryer et M. Dufaure défendaient Mgr Dupanloup, l’un contre le Siècle, l’autre contre les héritiers Rousseau. M. Dufaure était non-seulement heureux de soutenir une cause qui convenait si bien à ses convictions, mais encore de rencontrer une occasion de constater la nature et de marquer la limite des droits de l’historien.

Naguère, au nom des enfans du prince Eugène, il avait attaqué les Mémoires du duc de Raguse et fait condamner l’éditeur à insérer des documens rectificatifs. On l’avait accusé de méconnaître la liberté de l’histoire, il s’était promis de chercher à compléter sa pensée. Il lui donna toute son étendue dans son plaidoyer qui n’a