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France ; il songeait vraisemblablement avant tout à maintenir une situation favorable à sa politique nouvelle sur le Bosphore, faite pour consolider l’ascendant qu’il a pris à Constantinople. L’Autriche, de son côté, avait la préoccupation des troubles qui, en agitant l’Orient, pouvaient mettre en péril ses propres intérêts, son influence. La Russie ne croyait pas pour le moment devoir se séparer de l’Autriche et de l’Allemagne. L’Italie ne demandait pas mieux que d’entrer dans une grande alliance à la faveur de laquelle elle pouvait se promettre d’obtenir une place qu’elle a si souvent réclamée en Égypte. De tout ceci il résultait un fait évident, c’est qu’une partie de l’Europe était en mouvement, qu’elle avait déjà ses idées sur cette crise égyptienne, qu’elle voyait avec quelque jalousie ou avec quelque crainte l’action particulière des deux puissances occidentales et qu’elle saisirait nécessairement la première occasion de s’interposer. Puisqu’on connaissait à Paris comme à Londres ce travail de diplomatie, ces dispositions générales, ce qu’il y aurait eu de mieux eût été d’en tenir compte dès le premier moment, au lieu de se traîner pendant des mois dans des négociations stériles, dans des équivoques, pour en revenir tardivement à cette idée même d’une délibération européenne qu’on avait commencé par repousser.

Si la France et l’Angleterre, unies dans l’action comme dans le conseil, avaient pu trancher la question par une manifestation rapide et décisive de puissance, les autres cabinets n’auraient probablement rien dit, et M. de Bismarck lui-même se serait sans doute tranquillisé en voyant que cette union anglo-française ne contenait pas tout ce qu’il redoutait. La politique qu’on a suivie n’a eu d’autre effet que de légitimer l’intervention de l’Europe par l’impuissance des deux gouvernemens de l’Occident, et elle a eu de plus un résultat bien autrement singulier : elle a offert à la Porte ottomane l’occasion de reprendre cette position dont il faut désormais tenir compte dans les délibérations de la diplomatie, dans le règlement des affaires égyptiennes. La Porte, dit-on, n’a en tout cela qu’un rôle d’artifice et d’apparence ; elle n’a d’autre force que celle qu’elle tient de l’appui visible ou invisible de l’Allemagne et des antagonismes qui divisent l’Europe. C’est possible. Les Turcs ont été dans tous les cas assez habiles pour tirer parti de tout, et ils ont repris même assez de confiance pour devenir un peu embarrassans par leurs prétentions nouvelles. Ils viennent de faire en Égypte ce qu’ils n’avaient pas fait, au moins avec cet éclat, depuis quarante ans. Tandis qu’à Paris et à Londres on en était à délibérer inutilement, le sultan a fait acte de souveraineté en envoyant au Caire ce commissaire impérial, Dervisch-Pacha, qui, à la vérité, a une attitude assez équivoque. Les Turcs ont défendu leur souveraineté, ils la défendent encore par tous les subterfuges d’une diplomatie inépuisable. Lorsque la conférence a dû se réunir à Constantinople même,